L’écrivain comme un patient, son bureau est une chambre d’hôpital. La pièce est encadrée de murs blancs, la lumière est blanche, les rideaux sont blancs, tout est blanc. Il règne là un silence si particulier qu’on entend les fragments de vie dans un murmure constant. Ce pourrait être les pulsations d’un électrocardiogramme, le rythme d’une respiration, la trotteuse d’une pendule qui égrène les secondes, le souffle de l’imaginaire. Un train passe au loin et les roues des wagons cognent sur la jointure des rails.
L’écrivain comme un vagabond, son bureau est une bulle d’air. Son esprit est traversé par les vents qui tournoient en tempêtes, en bourrasques, en coups de tabac auxquels succèdent les accalmies qui trahissent l’épuisement jusqu’à la brise légère faisant frémir les feuilles du tilleul qui s’épanche sous sa fenêtre. Dans l’immobilité revenue, les fragments de vie volètent comme des grains de poussières au soleil. Il essaie d’en attraper quelques uns, les autres disparaissent dans l’ombre.
L’écrivain comme un rêveur, son bureau est un lit. Un rossignol chante en basque et vient déposer derrière ses yeux fermés les graines d’une histoire fantastique. S’ouvrent alors les chemins taillés dans la matière de l’imaginaire qui serpentent sur les flans de la montagne. Il saisit l’incongruité d’une situation absurde, la violence d’un regard maquillé de douceur, l’extraordinaire de l’usuel, la familiarité de l’impossible. Il y trempe le regard qui brille derrière ses yeux fermés pour en saisir la beauté qui, au réveil, n’en sera qu’une masse informe et incomprise.
L’écrivain comme un homme nu, son bureau est rempli de souvenirs. L’enfant qu’il était, l’adulte qu’il était, l’être aimé, l’homme aimant, la pensée d’un autre, le désir d’une autre, un regard, un chant d’oiseau, une odeur, une sensation, un cauchemar, une vexation, un goût de miel, une douleur, un sourire, un mot. Et le polissage du temps, la carapace de la mémoire, la matière transformée par l’oubli, le souvenir réinventé. Pour qu’il garde un sens à l’écriture. Un homme qui se croit nu mais qui est couvert de morceaux de tissus pour que le passé ressemble au présent.
Le bureau fait face à la fenêtre, le regard se perd souvent derrière l’horizon. L’écriture aussi. Sur le plateau en bois brut qui lui sert de bureau, des feuilles éparses de papier blanc sont recouvertes de lignes de mots tracés d’une écriture fine et serrée, de dessins crayonnés, d’auréoles de tasses de café. Sur un coin de la table, une pile de feuilles vierges attendent l’usage. Quelques stylos et crayons, un dictionnaire, une paire de ciseaux et un ordinateur portable sans âge.
Il fait vide, ce jour-là. L’inspiration est en souffrance.
J’aime beaucoup tous ses possibles. Idée originale. Langue précise. Je me reconnais dans l’écrivain rêveur mais j’ai un faible, en tant que lecteur, pour la chambre d’hôpital…
hyper fort, ce texte, je comprends mieux la rencontre avec Annie Dillard, ou bien qu’ici elle ait servi d’amplificateur
L’Atelier comme chambre d’hôpital. Il va bien falloir admettre en filigrane, que la démarche d’un.e écrivain.e a beaucoup d’affinités avec cet auto-confinement méditatif et parfois explicatif. En attribuer le mérite à une impulsion extérieure, d’où qu’elle provienne,est factuel, c’est dissocier momentanément le combustible et le comburant. Dans la lecture on fait des réserves des deux, dans l’écriture on en revient à l’acte de déclencher quelque chose qui va flamber plus ou moins. Si personne n’est présent devant ce feu intérieur, il va falloir réinventer inlassablement les gestes préhistoriques avec le bois d’amadou et les brindilles dont on dispose. Il arrive que des feux soient allumés en même temps comme sur les citadelles génoises vigilantes aux assauts de la vie. De loin , on reconnaît encore ce qui compte pour soi.
J’aime beaucoup ces possibles, une tendresse pour le vagabond, la chambre d’hôpital , je la fuis.
Entre les rythmes de la respiration et les roues du train: le souffle de l’imaginaire. J’adore.
… ça ouvre tellement. Merci Jean-luc.
Très beau texte avec ces multiples facettes de l’écrivain. Comme dit Nathalie c’est vrai que ça ouvre tellement.
« Le regard se perd souvent derrière l’horizon. L’écriture aussi. »
Très fort. Merci
l’écrivain et toutes ses facettes/profondeurs.. intimidée suis et ravie… . l’inspiration viendra
Superbes textes
un faible pour celui de l’écrivain vagabond et son tilleul
Autant de portraits, autant d’ouvertures, et ta façon toujours d’avancer en petits blocs égaux qui viennent nous prennent les uns après les autres…
Chaque paragraphe du texte rajoute du sens, de la force, de la poésie aux précédents, c’est magnifique. Et le chant basque du rossignol…
j’ai pensé à « Noé » où Giono explique les personnages descendant la colline et arpentant les prés qu’il voit de sa fenêtre d’écrivain… bravo, à bientôt encore te lire et partir…