Tu voudrais écrire assise à un bureau presque vide tu voudrais sentir l’odeur du bois brut sentir la brise sentir le rideau frémir l’étoffe légère qui se soulève et laisse entrevoir la Méditerranée tu voudrais écrire dans cette ambiance de mauvais téléfilm où un auteur frénétique cherche l’inspiration et la trouve dans un grand calme au coeur d’un décors sublime et bien rangé.
Tu écris avec de la crème fraiche entre les doigts tu écris penchée sur l’ordinateur et le bureau couine car tu n’as pas encore revissé les pieds même si c’est noté sur une des cinquantaines de listes posées là tu sucres le clavier parce qu’à l’instant où tu versais la crème fraiche dans un bol de fraises que tu voulais déguster dans un grand calme tu as compris une chose qui ne serait saisie que dans la panique de l’écriture mais tu n’abandonnes pas pour autant le projet de grand calme tu t’obstines à manger les fraises à la crème tout écrivant alors c’était prévisible le clavier prend le sucre et au fur et à mesure que tu écris tu le vois durcir tu te vois deux heures plus tard gratter le sucre entre les touches tu insultes le désordre dedans dehors tu ne peux rien contre la bousculade de sensations de projets de choses à faire de désirs de frustrations d’empêchements de freins d’élans de débordements insupportables indispensables.
Tu voudrais discipliner tes journées comme tous ces grands noms tu rêves qu’elle se tiennent droites pour qu’elles se déposent impeccables les unes après les autres divisées en actions précises.
Écrire serait la première.
Tu fais n’importe quoi tu crois comme un enfant que tant qu’il fait jour tu as tout le temps tant qu’il fait jour la nuit n’existe pas demain n’existe pas et dans le même mouvement tu sais que demain existe trop tu fais des listes tu as si peur des échéances que tu es toujours en avance tu as peur d’oublier le temps autant que de le maîtriser.
Tu voudrais te souvenir de tes rangements tout retrouver au moment voulu tu voudrais saisir ce qui te saisit et que tu avais presque saisi dans ce bout de texte cette citation cette sensation cette idée ce visage qui l’autre jour t’a emporté tu voudrais à fleur d’intuition tout ce que tu contiens et tout ce qui te contient il n’y aurait qu’à tendre la main pour cueillir recueillir écrire.
Tu ne comprends pas tes propres structures tu ne comprends pas tes agencements tes axes tes lignes tu ne saisis que le débordement du désordre dans le désordre qui te gaine et te permet de lutter contre pire que le désordre.
Excellent. Ça me parle.
Le titre est à changer : du sucre dans le clavier ! 😉
Le texte sans ponctuation rend bien compte d’une bousculade. Quand l’écriture bouscule la vie… Quand la vie bouscule l’écriture. Résonances…