Un matin comme tant d’autres
Les paupières descendent lentement devant les pupilles rétrécies par un trop plein de lumière. Le calme revient, une douce quiétude se répand dans son corps tendu par le besoin d’écrire. Le présent disparait. Sur l’écran noir veiné de rouge derrière ses paupières, un visage émerge lentement, comme un tirage photo sous l’effet du révélateur. Elle caresse les touches de l’ordinateur portable posée sur la tablette qui lui tient lieu de bureau. C’est dans la cuisine. Entre l’évier et la table de cuisson. Derrière, des meubles de rangement. Devant, une ouverture sur le salon. Plus de traces du petit déjeuner pris aux aurores, seule une odeur de cannelle émane d’un mug encore fumant. Elle ouvre les yeux, se masse la nuque d’une main tandis qu’avec l’autre elle tape un mot de passe. Apparait sur toute la surface de l’écran le visage d’une enfant – elle – constellé d’icônes de dossiers. Elle ouvre celui intitulé La sacoche, regarde l’heure – huit heures – programme l’alarme de son téléphone à midi, le met en mode avion et ouvre le fichier du jour Rue Camille Claudel. Elle est prête.
Il est peut-être quinze heures, peut-être un lundi du mois d’avril
Il faut qu’elle arrive à lui dire qu’elle veut être seule. C’est là et maintenant ce besoin. Il n’y est pour rien. C’est elle. Elle le sent. Elle est dans l’urgence. Elle ne veut pas le blesser et pourtant son agacement monte, se déploie. Il faut vite qu’elle le lui dise sinon ça va déborder et elle ne sera pas aimable, elle le sait. Tu sais… ça serait bien qu’on prenne un verre un soir… on aurait le temps de parler… tiens, demain soir par exemple au café du coin… c’est un endroit sympa… avec soulagement elle voit qu’il comprend. Dès qu’il passe le coin de la rue et qu’il disparait, elle se dirige vers le square. Son banc de prédilection est libre. L’ombre du feuillage encore clairsemé en ce début de printemps danse sur les lattes de bois peintes en vert-anglais. Elle s’assoit au soleil, étire ses jambes, sort de la grande poche de son manteau carnet et crayon, jette sa tête en arrière et ferme les yeux. Sur l’écran noir veiné de rouge derrière ses paupières un visage émerge lentement, comme un tirage photo sous l’effet du révélateur. Elle prend le temps de l’attente nécessaire pour mieux le connaître. C’est toujours étonnant ce moment où l’image devient distincte, sortie des limbes de son inconscient. Elle est prête.
Un jour sans…
Elle ne s’est pas réveillée. Et maintenant il est dix heures. Elle ouvre les volets. Il pleut, ou il ne pleut pas. Elle se recouche, les yeux fixés sur le lustre en pâte de verre qui ne répond pas à sa moue désenchantée. Une musique lancinante coule à travers le plafond. Pas d’énergie. Elle se dit que c’est un jour à rester au lit. Écrire ? Elle ferme les yeux. Sur l’écran noir veiné de rouge derrière ses paupières rien n’apparaît. Elle ouvre les yeux et fixe le ciel derrière la fenêtre. Elle saisit un livre sur sa table de chevet et relève une dizaine de mots au hasard. Elle les jette sur son carnet et commence à les croiser, les tresser, les modeler pour faire surgir une once d’imagination. Rien. C’est un jour sans… elle n’est pas prête.
De la difficulté et de la nécessité d’écrire.
J’aime beaucoup le passage : « Il faut qu’elle arrive à lui dire qu’elle veut être seule ». « elle est dans l’urgence ».
Bonjour Françoise et merci d’avoir pris le temps de lire ce texte. C’est en effet un bon résumé…