S’installant au bureau avec un thé, un vieux bureau de pharmacie dont le centre a été dégagé pour l’ordinateur en train de démarrer. Repoussés à la périphérie, des livres, des cahiers, des carnets, un dictionnaire, des cartes routières, des pots de crayons attendent leur heure pour regagner du terrain.
Repartant sur l’île du camp de rééducation, reprenant là où ça s’était arrêté, avec la terrible cohabitation des deux femmes, après une relecture en diagonale (le temps des relectures attentives et des réécritures viendra plus tard) pour le moment embarquer dans le flux des mots qui avancent.
Émergeant comme d’une hypnose profonde alors que l’écrit s’ankylose, et le corps aussi, constatant qu’il est presque quinze heures, qu’on est encore en pyjama et qu’on n’a pas mangé.
Marchant dans l’appartement – il n’est pas si grand mais il est long, il est possible de l’arpenter – regardant par les fenêtres de l’autre côté et revenant s’asseoir, alors que s’est creusé dans la tête dans le corps ce qui n’a pas été écrit encore.
Sursautant, quelqu’un vient de frapper à la porte, hésitant à ouvrir
Tenant un sabre de bois clair made in japan face à la fenêtre grande ouverte, face aux arbres, préciser son shisei et dans un seul mouvement une seule respiration monter le sabre au-dessus de la tête et couper. Répétant la coupe une cinquantaine de fois : un silence s’épaissit, la concentration se resserre.
Squattant la table à manger familiale, une table en châtaignier ronde, parce qu’elle trône dans la pièce la plus claire, sans vis-à-vis, une vue sur trois arbres et les cheminées de la ville plus loin, parce qu’il y a là une sensation de continuum intérieur-extérieur qui agrandit l’espace mental.
Regardant un documentaire sur la cité murée de Kowloon, fouillant un carton de lettres, y retrouvant un aérogramme de C., dépliant avec précaution la page si fine.
S’éparpillant, de mot en étymologie, de métaphores en images, en photos, de recherches en digressions, dilapidant son énergie.
Épluchant des pommes de terre, coupant un oignon et des courgettes
S’extirpant de la chambre sans bruit, le jour n’est pas levé, de vagues prémices dans le ciel mais les oiseaux n’ont pas encore crié, ouvrant l’ordinateur sur le bureau du fils parti en stage, tout dort alentour.
Recherchant un mot, un terme plus précis, une autre sonorité, voulant capter une ambiance en profondeur de champ, cherchant à apprivoiser ce rêve d’écriture de la ville. Calant.
Allant faire le tour du parc, sous les arbres gonflés de vert bruissant, guettant les micro-avancées de la végétation, pour voir si déjà les herbes mortes renaissent en lucioles et sentir dans le rythme de la marche que quelque chose de l’écriture se dépose, se sédimente ou se décante.
Reléguant ordinateur et téléphone pour prendre crayon ou stylo et tracer des phrases des paragraphes sur les cahiers format B5, couverture bistre à reliure noire, une pointe taillée crissant sur le papier, retrouvant un lien plus physique à la ville en train de s’écrire.
Repassant des vêtements, le souffle de vapeur s’échappant au rythme des gestes
S’installant dans le lit, un oreiller contre le mur derrière le dos, un coussin sur les cuisses où est posé l’ordi, dans la pénombre de la chambre, la fenêtre ouverte rideau mouvant sur la vie calme de la cour qui ne trouble pas la concentration, les doigts courant sur le clavier.
Attendant comme un pêcheur botté dans le courant quelque chose qui surgira du fond de l’eau.
Dessinant des cartes mentales avec la version gratuite de Mindomo pour se retrouver dans les chapitres et les fragments déjà écrits, pour matérialiser visuellement l’univers de K., des îles avoisinantes, reliant les cartes entre elles. Créant un archipel.
Trouvant le lieu d’écrire : une disposition qui réunit concentration, désir, silence et solitude, devant un ordinateur et/ou des carnets, livres et crayons, un sanctuaire mobile qui peut migrer de place en place.
Un sanctuaire mobile, c’est très beau
Ah merci Françoise, c’est le titre que je voulais donner au texte (et finalement je suis restée dans le participe présent)
Très attirant, ce sanctuaire mobile. J’entends son souffle, je sens ses pulsations. Vivant.
enfin le trouver, ce sanctuaire mobile ! merci Jean-Luc pour ton écho
« Embarquer dans le flux des mots qui avancent »
Belle ta forme au participe présent qui nous invite à te suivre dans cette quête de l’endroit où…
et puis enfin le lieu d’écrire qui se dessine
On pourrait s’y nicher avec toi…
Avec ces participes présent, je voulais donner à voir l’auteur.e uniquement dans l’action de chercher et d’écrire. Merci Françoise pour ton retour
Présentes, entrelacées toutes les strates de la vie ordinaire (éplucher des pommes de terre…) et toutes les stratégies conscientes ou pas pour écrire
plaisir de vous lire
Merci beaucoup Huguette pour votre passage et votre retour.
Je vous découvre ! que j’aime mais que j’aime ces fragments. Ou s’inventer des contraintes au cœur de la la proposition est extrêmement stimulant. J’aime beaucoup l’idée de saisir l’écriture à différents stades, en différents lieux, comme échappés eux-mêmes d’autant d’histoires tapies. J’aime aussi beaucoup la justesse des mots et de la mise en page. Merci !
Merci Émilie pour votre passage. Oui, s’inventer des contraintes à l’intérieur de la consigne peut être très stimulant ! je voulais une forme qui indique l’action et ne s’arrête ni à la personnalité ni au genre de l’auteur.e d’où les participes présents. Merci pour votre écho
Wow suis admirative emportée assise là me promenant entre lignes et moments d’écriture
Oui bravo c’est magique de vous voir écrire !
Un grand merci à vous Gwenn d’être passée me lire !