C’était sur la côte est, dans une petite ville côtière du Maine, au sud de Portland. Quelle chance cet été-là de pouvoir s’installer pour trois mois d’écriture dans une maison prêtée par un ami. Seule face à la mer, rien ne pourrait m’empêcher de finir ce roman en stagnation depuis trop longtemps. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour m’installer et me sentir chez moi dans cette maison à la fois sobre et confortable. Le seul élément de décoration notable était une série de grandes affiches représentant des phares, chaque pièce ayant le sien. Pas de télé et une connexion internet souvent capricieuse ; après quelques jours de manque, je pouvais enfin me concentrer complètement sur mon travail. Dans la pièce où j’écrivais, les murs couverts de livres me donnaient accès à un vaste répertoire d’écrivains anglophones. C’est à cette occasion que j’ai enfin lu Middlemarch de George Eliott, un pure délice. En dehors du bureau, sur lequel j’avais installé mon ordinateur et quelques carnets, le mobilier se composait d’une chaise et d’un petit sofa. L’affiche, placée au-dessus du sofa, représentait un phare peint de rayures rouges et blanches, se détachant sur un ciel d’aurore dont les zébrures d’un rose tendre rayonnaient tout autour. L’herbe au pied du phare apportait une touche d’un vert rafraîchissant à côté des rochers gris et d’une mer presque violette sur le côté gauche. J’aimais cette image et ses couleurs inspirantes que je passais toujours quelques instants à admirer quand j’entrais dans la pièce, avant de lui tourner le dos pour m’asseoir face au bureau. La fenêtre, sur ma droite quand j’écrivais, donnait sur un petit jardin bordé par des rochers descendant vers la mer. Ce spectacle me ravissait, tandis que le bruit des vagues rythmait mes journées et aussi peut-être ma prose, dynamisée, sans doute, par l’air marin. J’écrivais le matin, après un café bu sur la pelouse en contemplant l’océan. L’après-midi était le plus souvent consacré à la relecture des écrits de la veille ainsi qu’à à la lecture des classiques de la littérature glanés sur les étagères du bureau, à laquelle je m’adonnais parfois sur la plage située à quelques minutes à pied de la maison. Promenades et baignades complétaient mes journées qui s’achevaient par un repas léger pris dans le jardin que le soleil plongeant dans l’océan éclaboussait chaque soir de ses rougeurs insolentes.
Chaque journée se déroulait selon ce rythme immuable et j’étais contente d’arriver à garder cette concentration qui rendait mes matinées d’écriture très productives. Toujours accompagnée d’un petit carnet, je notais, le reste du temps, les idées qui me venaient.
Ce séjour avait vraiment débloqué ma plume. Tant et si bien que, vers la fin, j’avais pu consacrer un peu de temps à la découverte de la région et visiter certains des phares décorant la maison. Voilà comment j’avais achevé ce roman à la gestation si longue et compliquée.
Ou bien c’était dans un chalet de montagne, dans une région sauvage du Colorado. Arrivée à la fin de l’été, je m’étais installée avec le strict nécessaire dans ce petit chalet loué dans le but d’échapper aux distractions, qui selon moi, m’empêchaient de finir mon roman. Rien, ni personne alentour, je devais faire deux heures de route une fois par semaine pour aller me ravitailler dans la ville la plus proche. Le jour du ravitaillement était le seul où je m’accordais une pause dans l’écriture. Je consacrais mes mâtinées à écrire, assise à un petit bureau en bois au premier étage. La fenêtre donnait sur de grands arbres et je pouvais entendre le chant des oiseaux, douce musique qui m’accompagnait dans mon labeur. Quand l’inspiration n’était pas au rendez-vous, je n’avais qu’à ouvrir la porte-fenêtre et me rendre quelques instants sur le balcon qui faisait face aux montagnes au loin pour me perdre dans la contemplation de cette nature gigantesque. Quelques minutes de ce spectacle suffisaient à revivifier ma plume à l’arrêt. L’après-midi, quand je ne lisais pas à l’ombre des arbres devant le chalet, je partais en exploration, le plus souvent en direction d’un torrent auprès duquel quelques une de mes meilleures idées me sont apparues. Je les notais vite sur mon carnet avant de reprendre mon observation de la vie sauvage qui m’entourait. Écureuils, chipmunks, oiseaux de toutes sortes, papillons et insectes, biches et chevreuils, toutes ces rencontres nourrissaient mon imaginaire jusqu’à m’ inspirer un recueil de nouvelles, publié peu après mon roman. Les semaines passaient, les jours raccourcissaient et se refroidissaient, les arbres s’enflammaient et mes sorties aussi devenaient plus courtes, tandis que mes séances de travail s’intensifiaient à la chaleur du poêle que j’avais dû allumer. J’avais pu mettre le point final à mon roman et retourner en ville, juste avant la tempête de neige qui m’aurait bloquée là pour une dizaine de jours. L’expérience aurait pu être intéressante, mais j’avais rendez-vous avec mon éditeur.
C’est du moins ce dont elle rêvait dans son H.L.M. de banlieue, assise à sa table, devant l’ordinateur qui venait encore de buguer, effaçant les quelques lignes qu’elle avait laborieusement passé sa matinée à écrire. Son roman n’avançait toujours pas ! En chassant d’un mouvement agacé une grosse mouche qui tournoyait et bourdonnait nerveusement autour de l’écran, elle pensa que de toute façon ce qu’elle venait de taper ne valait rien et qu’elle avait bien besoin de changer d’air.