Je me suis installée dans la chambre de l’aile nord, mais ce n’est plus la même chambre, puisque l’aile nord a été entièrement détruite il y a deux ans, qui menaçait d’attirer la maison tout entière vers la mer. C’est donc dans la chambre de l’aile reconstruite que je m’installe. Les murs de pierres ont été remplacés par une structure en bois, et l’espace a été réduit, pour ne pas peser sur le sol instable. J’oublie que ce n’est plus la même chambre, on y a installé à nouveau les lits jumeaux en métal blanc et leur dessus de lits fleuris, là où flottait un parfum de cave c’est maintenant une odeur de bois chaud, de plâtre et de peinture. Chaque matin je me réveille —juste après l’aube, j’ouvre les jalousies face au soleil qui se lève. Les nouvelles fenêtres sont plus hautes et plus larges que les anciennes et ouvrent davantage sur l’horizon. Je regarde le ciel et ces changements de couleurs. J’écoute le bruit des arbres penchés sur la mer. J’écoute la mer et les oiseaux. J’écoute le silence de la maison. Je fais confiance au silence. Je prends des photos, le déchirement des nuages qui effacent l’horizon, les reflets du soleil sur la mer, les langues de schistes, le contre-jour des arbres. Je fabrique des images, je sais qu’elles seront un jour le matériau de mon écriture. En face il y a l’île d’Elbe, parfois elle s’efface, mais chaque fois qu’elle apparaît elle me rappelle d’où j’écris. Et que peut-être mes personnages ont ce même sentiment, que cette île était comme le reflet de la leur. Je caresse le métal de la table ajourée, je respire le parfum que ça laisse sur mes doigts. J’ouvre le vieux MacBook Air prêté par P pour le voyage, installe la carte SD, redécouvre le fichier que le père de V a laissé à mon attention, Bastia rue Droite avant 1930. La rue est photographiée en plongée depuis le boulevard Auguste Gaudin, du linge sèche aux fenêtres. Au milieu de la rue, juste avant la courbe qu’elle dessine dans sa partie basse, on voit un homme, une carriole, un âne. Et une silhouette de femme, peut-être que c’est une de mes personnages.
Lire ici comme ailleurs et retrouver le ton, la tonalité si caractéristique. Celle qui pousse à lire jusqu’au bout et à attendre la suite. Ensuite s’interroger sur ce que l’on construit ainsi, cette familiarité si j’ose dire avec cette tonalité. La familiarité proche de la confusion parfois qui s’effectue entre auteur autrice, et lecteur, lectrice. L’interrogation sur la réalité, la nécessité des frontières.
moi aussi j’attends la suite, ahah ! Autrice, forcément, sinon je suis pour l’abolition des frontières 😉
dans la maison reconstruite dont tu parais hier, mais c’est la même mer et la même femme qui s’y installe, regarde et va écrire
oui, elle va tenter, merci Brigitte
bizarre comme ça fait penser (en silence) (les photos pensent en silence c’est pour ça, oui)
tiens ce serait marrant d’écrire les bandes-sons de ces photographies
Poésie et finesse de l’écriture.
Nos sens sont en éveil avec ton texte : on entend le silence de la maison, on touche le métal de la table ajourée, on sent l’odeur de bois chaud.
Merci.
Belle fin de semaine.
merci à toi Annick ! tu es donc revenue ? Vais suivre 😉
Oui, de retour… plaisir de retrouver les camarades d’écriture 🙂
Tu m’as fait entrer dans cette chambre, et déjà dans le roman à la suite de la femme qui va tourner (ou pas ?) dans la courbe de la rue Droite.
Chère Laure, je me demande bien comment je vais avancer dans ce labyrinthe 😉
tu as fait confiance au silence, je te fais confiance pour la suite… hâte !
je crois que je commence à savoir attendre (sourire)
Oh dis ce texte c’est comme une douceur, merci
oh merci Lisa, sans doute celle du soleil du petit matin, après ça peut vite devenir cuisant !
Belle entrée en matière pour ce… deuxième opus… pas une suite mais un corollaire…?