Sa compagne range le matériel d’entretien dans une sorte de réduit aux murs couleur rose jambon industriel. Progressivement dans la cellule érémitique, il fait entrer une table, une chaise. Puis il monte deux étagères de part et d’autre afin de libérer des livres qui dorment dans des cartons de déménagement. Au plafond une ampoule d’une éclatante luminosité jette sur l’espace restreint un voile blanc intense. Il s’installe-là avec un casque sur la tête pour se prémunir de toutes intrusions désespérantes, éloignant un peu plus la sonnette grossière de la porte de l’appartement de sa nouvelle quiétude monacale propice à l’écriture. Il doit cacher son existence. Le cas contraire, inévitablement, il devra répondre aux décibels stridents des sonneries de l’immeuble pour se confronter aux remises sous pli avec signature recommandée. Fatalement l’huissier suivra quelques jours après. Par rétroaction le service contentieux de la banque débutera sa réponse adaptée en une séquence d’appels réguliers, d’emails automatiques et de courriers types. Enfin les impôts se vengeront en pénalités exorbitantes. Taper un, taper deux, taper trois; vous allez être mis en relation avec une attente interminable l’un de nos conseillers dans quinze, dix, cinq, quatre, trois heures de services télématiques surtaxés. Des pochettes surprises au contenu fatal se glisseront furtivement entre les huisseries comme autant de jours d’anniversaires égarés. Des virtuoses du procès-verbal joueront du rituel de la sonnette comme des ensorceleurs transpercent des poupées de cire.
Bientôt au confort spartiate du cagibi, quoique protecteur, le voisinage de la chambre laisse place à des perspectives moelleuses, l’oxygène d’une fenêtre ouverte. Les premières tentatives de s’échapper de la cellule se révèlent fructueuses, et avec la distance la sonnerie s’atténue davantage.
J’aime beaucoup. J’ai lu #01 bis avant celui-ci et je tombe sur le casque sur les oreilles, le bruit toujours… Merci.
oui le bruit, et pour s’en échapper, les espaces restreints, les casques sur les oreilles. Merci Anne d’avoir pris le temps de me lire.
on bascule depuis l’Italie
et je retiens « Il doit cacher son existence. » Peut être là un point d’articulation majeur…
Merci d’avoir relevé cette phrase qui me semblait anodine, et que je notais là pour échapper à la vie sociale et se consacrer pleinement à l’écriture. Elle peut effectivement être une ouverture, un basculement.
J’adore ce texte et le projet du placard. Je pense à des auteurs polonais ou serbes qui aiment à soutenir ce genre de postulalt de départ (le Coupe-papier, 69 tiroirs…). Mais surtout, quelque chose s’associe à Simenon. Combien de temps Maigret mettrait-il à le retrouver là, le gars ?
Tu as piqué ma curiosité, je vais de ce pas aller jeter un oeil sur Goran Petrovic. Merci pour ton retour enthousiaste!
Un livre de ma sentimenthèque