J’écris ceci dans une chambre au plancher en bois de châtaignier, lattes de 70 ajustées à l’ancienne il y a un siècle et demi. Quand je m’y déplace ça craque sous le pied. Toujours aux mêmes endroits. Je finis par les repérer. Il y a tout ce qu’il faut pour écrire, crayons, papier brouillon, carnets, ordinateur, mais j’ai du mal à rester assise à la table qui sert de bureau. Impossible de glisser les jambes dessous complètement à cause de barres en métal à hauteur des genoux, donc jambes repliées ou alors enfilées par-dessus. Posture bancale. La situation est provisoire. D’ici quelques mois j’aurai un autre bureau. Deuxième possibilité : m’installer sur le divan aux coussins colorés. Le meilleur atout du lieu reste ses deux fenêtres même format équipées de volets en bois et aussi de rideaux électriques. Je peux gérer le flot de lumière en fonction du ciel et des moments de la journée. Je peux aussi établir un courant d’air avec la pièce voisine et l’escalier pas loin quand je veux. L’été approche, parfois il fait chaud. Le paysage est présent à chaque instant. Pas de dérangement. La route est peu fréquentée. L’écriture et le paysage m’absorbent entièrement. Souvent le temps se dissout, aucun souvenir de son déroulement. Quelques tableaux aux murs. Des statues de bois noir qui regardent loin. Peu de livres. Peu de livres parce qu’ils sont rangés… oui on sait. Écrire pourquoi faire ? On me l’a demandé encore récemment. Chaque chose en son temps. Les mots qui viennent ces jours-ci parlent de ça sans doute, trahissent le réel, parlent des gestes, des rites et de la naissance des histoires. Le chant des oiseaux se répand de tous côtés, m’accompagne, ne me distrait jamais. Agréables créatures douées de vol et réclamant peu. Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. Et il me prend des rêveries de voler par-dessus le petit étang que je peux voir juste en face.
Photographie ©Françoise Renaud, au jardin, 14 juin 2023
De tous ces détails qui nous guident, nous libèrent, nous inspirent, mettent en ordre nos pensées. Le début de ton texte me rappelle un livre d’un écrivain japonais lu il y a longtemps (je ne me souviens ni du nom de l’auteur ni du titre du roman). Il était question d’un vieux plancher en bois dont le personnage tentait vainement de percer le mystère. Il essayait d’en cartographier les grincements mais certains disparaissaient quand d’autres apparaissaient sans qu’il n’arrrive à savoir pourquoi. C’est peut-être ça l’écriture, un vieux plancher en bois qui grince, parfois de facon inopinée, comme un instrument de musique capricieux que l’écrivain tente de maitriser.
Quelle belle image, évidemment non préméditée, qui se développe dans ton œil de lecteur
on dirait bien que le roman va s’écrire presque tout seul !
Je vais écouter mes planchers avec plus d’attention pour ne rien rater de leur inspiration…
Merci JLuc
Rien à voir avec la quiétude champêtre de ton lieu d’écriture, j’ai gardé le mot “plancher” en tête pendant un long moment et aussi l’idée de “traverser”, traverser le plancher avec l’écriture. L’impossibilité de t’attabler confortablement (quelque chose en travers) fait douter des conditions totalement favorables à l’émergence d’une écriture, malgré le désir d’écrire et la sensation de pouvoir le faire si s’arrête la pensée. Quête paradoxale du vide de tête pour loger le trop-plein des chants d’oiseaux pourtant complices. Cette chambre vibre trop. Et soudain je pense au Plancher de Jeannot, qu’il a gravé dans sa piaule et qui a été catalogué comme Art brut. Mais lui était malade et se sentait persécuté, ce qui ne correspond pas à ce que tu racontes. Les planchers sont de drôles de caisses de résonnance pour essayer d’entendre les sons de vie que la tête veut écrire. Tu connais cette histoire ? https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Plancher_de_Jeannot
J’adore cette idée de traverser le plancher, de saisir son langage… tu m’ouvres là de vastes pistes
Merci pour ton regard et le lien vers Jeannot le Béarnais dont j’ai déjà entendu l’histoire et dont je viens d’aller voir d’étonnantes images…
(petite note : ce JE n’est pas forcément moi bien sûr….)
Merci pour le lien, Marie-Thérèse. Super.
Comment fais-tu ? on est immédiatement avec toi dans la « chambre au plancher en bois de châtaignier » attentive.if à chaque détail, à la lumière, à la présence du paysage. On sent bien que l’écriture est là, depuis longtemps, quel que soit le lieu.
j’essaie de ne pas me disperser, de rester dans un petit espace, de poursuivre dans le cadre qui se propose… et je tente de me glisser là…
merci Muriel, tu m’encourages à poursuivre dans le détail… on verra ce qui se passera
« Juste la sève et la saveur »
tes écrits témoignent toujours de cela, de cette captation délicate et dense à la fois
Retrouver ici tes mots, chère H, est un vrai plaisir de partage…
merci pour ce que tu soulignes, ça m’aide à en prendre davantage conscience
Oui, le plancher, qui peut en parler mieux que toi, la matière toujours, la décrire… « Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. » Je voulais relever et copier le Juste écrire sans but sans resserrement, mais impossible de se priver de ce qui suit et pas non plus de ce qui précède. Tellement beau.
Que de beaux commentaires aussi sous vos yeux amicaux, attentifs et désireux de lire…
tellement important ici — dans ces ateliers — ces retours sur matière qui nous aident à tenir le fil et à poursuivre sans nous préoccuper de résultat…
juste se tenir là où ça se propose
merci Anne de souligner cela
Je l’écrivais ailleurs : ce que j’apprécie, chez Françoise Renaud, c’est la simplicité. On arrive : on visualise, on situe, on ressent. Avec bonheur.
un sacré compliment s’il en est… en tout cas pour moi !
merci pour cela, Nicolas…
J’aime beaucoup » les statues de bois noir qui regardent au loin ». Au delà ou à travers les murs ? Sentinelles dans cet espace à la fois inconfortable et propice ?
Du plancher qui craque au petit étang, tu nous embarques Françoise ! merci à toi
oh Dominique je t’embarque avec joie à mon bord, mais où vais je te conduire ?
peut être le saura-t-on un de ces jours ?
Françoise,
J’ai pris plaisir à vous lire.
A découvrir vos espaces d’écriture, avec ce qu’il y a d’inconfortable comme les barres en métal de la table ou ce qui accompagne l’écriture, lui donne de l’élan comme les coussins colorés du divan, le calme de la route peu fréquentée, la possibilité de faire courant d’air, le chant des oiseaux…
J’ai aimé sentir le plancher craquer sous le pied. Ce que ça fait remonter comme souvenirs, comme lieux où le plancher craquait lui aussi sous mes pieds.
Merci.
bon alors il va falloir que je m’applique pour la suite parce que tout ça, ça promet des histoires… allez savoir
merci Annick, merci
Il y a ce plancher inspirant et puis cet étang tentateur dans ce lieu idyllique pour écrire, je me demande ce que tu vas faire de ces deux lignes de fuite! (ou d’avancée) Tout a l’air, si calme, si posé qu’une catastrophe n’est pas impossible
bien contente Catherine de te retrouver par ici
(toujours en tête ton texte Le Tube, il est resté dans un coin du cerveau, pas de doute… j’espère que tu finiras…)
et là, tout plein de possibilités qui s’ouvrent, tu m’indiques des chemins
espère ne décevoir personne !!…
mais la catastrophe, oui… je suis une spécialiste !! ah ah
Chère Françoise, un vrai bonheur de découvrir vos nouvelles errances, totalement nues inédites à chaque texte, avec de nouveaux mots, cette quête des sensations justes qui donnent un corps à celui qui vous lit, ranime des souvenirs, … c’est si précis, si exact que tout en vibre comme oiseau géant
et tant aimé ce passage formidable
« Le chant des oiseaux se répand de tous côtés, m’accompagne, ne me distrait jamais. Agréables créatures douées de vol et réclamant peu. Et là, je peux écrire assez longtemps si je cesse de penser. Juste écrire sans but sans resserrement. Juste la sève et la saveur. Et il me prend des rêveries de voler par-dessus le petit étang que je peux voir juste en face. »
Merci tellement…
Une évidence. On y est . Merci. (Avec le paysage et le plancher qui craque)
Admiratif de ce sentiment de proximité qui nous cueille dès le début. Un vrai plaisir de te lire.
J’aime « Je peux écrire assez longtemps si j’arrête de penser. »
Tout y est propice dans ton installation et dans ton écriture.
Je me suis installée dans la.pièce.
La preuve que les textes continuent à vivre longtemps après…
Cette visite, la tienne, le ranime et m’oblige à le relire alors que nous touchons à la #23… étonnante expérience
merci pour ça