Book-in, Perpignan
Je le trouve sous les néons d’un magasin de livres et de CD d’occasion. Un petit rayon de livres pour la jeunesse caché dans un angle, à côté d’une porte de service. Au mur, il y a des étiquettes jaune et orange fluo en forme de…il y a un nom pour ça ? d’étoile ? Bon, ça vendait pour pas cher des livres par lots. La mer pas loin, des livres de plage surtout. Un livre de mer. Un folio junior. Ça n’a rien à voir avec les vieilleries qui me sont passées entre les mains auparavant. Sur la couverture, un jeune garçon hurle. Les mains en porte-voix, il semble prévenir quelqu’un et porte un tricorne sur la tête. Sa bouche est béante, démesurée. Il est pâle. Un spectre, je me dis. Les pages du livre ne sont pas jaunies, mais elles sentent l’humidité. Et son odeur se confond avec celle de la javel dont on doit frotter les carreaux fissurés du magasin. Je n’aime pas ça, mais je le prends quand même. L’idée n’est pas vraiment de l’acheter, mais de ne pas perdre la face. Je suis mal à l’aise. Les vendeurs parlent fort. Ils écoutent du rock. Ce que j’aime, moi, ce sont les disques de Rondo Veneziano. J’écoute ça en battant des bras dans le salon. Avec mes sandales et mon bermuda, je me trouve con sous les néons du magasin, et ce livre me donne simplement une raison d’y être. J’ai payé le bouquin et suis sorti comme on prend la fuite. Soulagé.
Quelque part, Val de Loire
On a campé quelques jours dans le pré d’un château. Des plus petits logeaient à l’intérieur. On entendait des bruits de cuisine et de jeux qui n’étaient déjà plus les nôtres. On les entendait, mais on ne les voyait pas. Le campement était situé à l’arrière du château. L’herbe du pré était sèche et sentait la menthe. En contre bas coulait un ruisseau dont on ne pouvait pas s’approcher à cause des vipères.
On planquait des canettes de panaché dans nos tentes et l’on s’amusait à allumer nos pets avec un briquet. Voilà tout ce dont je me souviens de la colo itinérante dans le Val de Loire. J’avais toujours un petit temps de retard sur la camaraderie et m’efforçais de faire comme les autres. J’imagine que je n’étais pas le gars marrant, mais on me tolérait sans méchanceté.
J’avais apporté le livre. C’est ma mère qui l’avait mis dans mon sac en cochant la liste des trucs à ne pas oublier. Mon nom était écrit dessus, comme il était écrit sur mes vêtements. Après le dîner, j’avais pris l’habitude de le sortir pour m’isoler sans avoir à me justifier. Je ne comprenais pas grand-chose à ma lecture, mais cela importait peu. Car il se passait un truc.
Ce qu’il se passait…c’est que le pré n’était plus vraiment le pré. Le pré s’était mis à trembler. Rien d’indicible. Rien de soudain. Rien de mystique. Entre une lande anglaise faite de mots et le pré fauché réel d’un château du Val de Loire, il s’était créé un lien. Je ne vivais pas une expérience d’évasion à laquelle ce roman d’aventures aurait pu me convier naturellement. Je n’étais pas captivé. Au Contraire, j’étais rendu à la réalité. Je levais les yeux du bouquin et j’avais la sensation de découvrir les choses qui m’entouraient pour la première fois. Je me souviens de la lampe à gaz et des insectes qui cognaient dessus. Cela méritait soudain d’être regardé et d’avoir une signification. Je ne peux exprimer cela que par le terme de tremblement. La réalité tremblait. La lampe à gaz, dérisoire sous les étoiles, existait mieux et pour moi seul d’avoir été l’écho de la lanterne de contrebandiers anglais au milieu d’une tempête. De retour sous la tente, j’étais le dépositaire d’un secret. Une sorte de carte, une espèce de diamant, un probable puits, m’attendait quelque part. Et je plaignais les copains de n’avoir pas ça au fond d’eux.
Relire
J’ai souvent relu ce livre. J’en ai fait de la culture, sans déplaisir, mais sans beaucoup de convictions non plus. C’est-à-dire que j’ai lu d’autres romans d’aventures maritimes et que cela m’a donné des points de comparaison. Mais en parler en termes analytiques me serait difficile et presque désagréable. Je ne destine pas ce livre au discours. D’ailleurs je n’arrive à en retenir ni l’intrigue ni les personnages principaux. Il ne me ramène pas non plus spécialement à mon enfance et je n’éprouve aucune nostalgie en le lisant. C’est juste un bon bouquin tel que j’ai appris à les aimer, de ceux qui résonnent et relient.
Il y a une forme de sécheresse, quelque chose de direct dans les phrases, et pourtant une voix, et en même temps un léger côté bancal, avec ces deux niveaux de langue qui se croisent, on pourrait presque insister sur le contraste entre ces deux langues pour voir ce que cela donne, pour renforcer cet effet là.
Merci pour ce commentaire, Marion. Autant j’ai pris plaisir à m’accorder du temps d’écriture, pour la première fois depuis longtemps, autant entrer dans l’écriture a été laborieux. La sécheresse verbale est le reflet de ce passage à l’écrit, il me semble. Écrire de petites phrases simples et peu reliées les unes aux autres, plutôt que de ne rien écrire du tout. Je prends note aussi du côté bancal, pas voulu lui non plus. Cela m’intéresse que vous l’ayez souligné.
Ça marche assez bien les petites phrases simples peu reliées je trouve, ça s’accorde avec le personnage décrit. Mais c’est peut-être mon goût des phrases tranchées qui parle. François Bon parle très souvent de Raymond carver, on y trouve une forme d’oralité très travaillée, abrupte, hallucinante d’efficacité. Un auteur du tiers livre en avait fait de très belles lectures cet hiver sur YouTube mais je ne les retrouve plus. Cela peut être inspirant.