Lui, il s’ouvre à plat. Sans forcer, sans appuyer trop fort du plat de la main au milieu de deux pages, au risque de les voir ensuite se décoller, se détacher et finir par se perdre, faire sur le dos du livre une vilaine cicatrice. Cadeau d’anniversaire, un anniversaire qui marquait le passage, l’arrivée à l’étage majeur. Un beau cadeau. Pas un de ces livres de poche, reliure collée, couverture trop fine, pages trop épaisses, papier rugueux, odeur de poussière, tout faux. Lui, il a une couverture épaisse et des pages si fines, si douces, émotion du toucher, du bruit de la page qu’on tourne, ça commence bien avant d’avoir posé les yeux sur le premier des mots, sur ses s et ses t qui se tiennent par la main en amants éternels de la typographie. Pas d’odeur ou si peu, mais une odeur à lui, une légère senteur d’encre, peut-être un peu de colle ou encore de papier, mais un parfum à lui, rien qui dise son âge en éternel jeune homme. Il contient le même texte que le livre de poche, les mêmes phrases, les mêmes lieux et les mêmes personnages. Oui, mais lui, il peut s’ouvrir à plat, posé sur le bureau sous les feuilles de cours à réviser en vue de ce grand examen, qui s’approche, qui s’approche, qui s’approche encore, de plus en plus vite à mesure que la motivation se fait de plus en plus ténue, minuscule, ridicule. Inexistante. Alors, ce sera chacun son tour, un chapitre du livre, un chapitre des cours, pour que l’un aide l’autre à tirer, à pousser, à mener les révisions, poussives, jusqu’à leur examen.
Et puis, l’examen est passé et le livre, lui, est resté. Dans un coin d’étagère et dans un coin de souvenirs, dans un coin de carton à chaque déménagement. Dans son joli volume à couverture marron, il revient faire un tour, redevient nécessaire presque régulièrement, montrer ses pages si fines, toujours un peu blanc-crème, avec une marque plus sombre où les pouces le tiennent quand la chaleur s’en mêle. L’histoire n’est pas la seule dans ce volume marron, mais c’est la revenante, celle qui reste, celle qui revient toujours se placer au-devant, celle qui est toujours là, coincée entre deux tresses de fils jaunes et brillants, dont les extrémités s’effilochent en bouloches. Lui, il peut s’ouvrir en grand, et t’emmener en grand. Une histoire de passage pour une année de passage, à relire autrement à chaque relecture, à chaque passage en crête ou sur un fil tendu entre brume et brouillard. Lui, il est toujours là pour tendre quelques liens et aider à sauter, lui, il ramène doucement, la concordance des mots, concordance de tes temps
On l’attendait on le savoure on le relit c’est un délice…
en papier bible lequel est-ce donc qui t’accompagne ainsi d’études en années de maturité ? Suis intriguée !
Merci Juliette !
Ahhhhh on dit pas le livre 😁
Mais oui, la pléiade, le papier, au toucher et à l’oreille, à l’ouverture à plat. Plaisir du livre avant même le plaisir de lire… Encore mieux !
Merci. On sent l’épaisseur et le mouvement du temps, impalpable et implacable, tissé à la matière de l’objet et aux sensations de l’humain qui le manipule, tout petit humain qui traverse ce temps immense…
Oui, temps immense, et nous si petits. Encore plus petits sans l’aide des livres pour franchir les obstacles…
L’objet livre est une source riche de beaux souvenirs. Ouvrir la vie en grand et sentir sous ses doigts la douceur du temps. Belle évocation.
Oui, richesse de l’atelier, redonner sa place à l’objet, au contenant qu’on aborde pourtant avant le contenu
Beau portrait, d’après nature, comme souvent avec toi. La question aussi de ce qui reste quand on a tout oublié. La forme.
La concordance des temps… Parfois, je n’y arrive pas. Au Sérail, typiquement, c’est cuit. Parfois, elle n’est qu’une façon d’assortir des habits ensemble : on ne met pas des carreaux avec des fleurs, du passé simple avec du présent. Mais dans les bibles que tu décris, c’est autre chose, un cohérence qui fait le poids dans las poches déformées.
Oui, l’objjet avant son contenu, un peu comme l’enfant qui joue avec le carton avant de s’intéresser à ce qu’il contient.
Et pour la concordance des temps, je sais qu’elle existe et sais aussi que je suis censée la connaître et savoir l’utiliser. Mais voilà … je préfère en rester aux moments qui s’accordent bien entre eux, et aux clins d’œil. 😉Quant à mettre des carreaux avec les fleurs, d’accord avec toi. Et pour les poches aussi. Déformées oui, mais par les livres !
Délicieuse madeleine… 🙂
Les madeleines en papier sont de loin les meilleures ! 😉
« Lui, il peut s’ouvrir en grand, et t’emmener en grand. »
je retiens cela, et aussi tout le bonheur que tu as d’en parler, cette concordance…
Avec le plaisir de ne pas vraiment décider de qui ouvre qui …
S’ouvrir en grand, qui, lui ou celui qui le lit, qui écrira un jour, qui écrira en grand. Très beau texte, bien dans la consigne, lui. Voilà ce qu’on aurait pu en faire de la consigne… Parler des circonstances de vie autour du livre. Tu l’as fait et c’est tellement réussi, Juliette. Le passage…
Merci ! Les passages c’est toujours tellement riche, pas possible de les laisser passer 😉