« Si tu balises à hauteur de la sortie cinquante-quatre, la suite va te griller mec. » Elle dit.
Lui, il s’en fout, car pour ne rien dévoiler, il sait qu’il faut tout avouer ou se griser du néant. Du coup, il commence son prologue, piloté par des instructions précises. Première distillation : activer un subtil mélange de phonèmes, de mots, de ponctuation, de phrases, de paragraphes, les mélanger vite et salement, sans fioritures esthétiques. Il découpe transversalement, verticalement, mord les lignes, puis recompose infantilement les retombées de ce puzzle. Deuxième distillation : déclencher le bordel cognitif intégral, l’épilepsie, révulser le regard et atteindre l’au-delà du non-retour. Recommencer cette opération si nécessaire, soutenu par un bruit blanc diffusé à un volume inacceptable. Dernière distillation : égarer la raison afin de ressentir la motivation première, afin de dégotter l’élu, ce « foutu livre d’une vie ». Ou plutôt l’illusion d’un « foutu livre d’une vie ». Ce Graal tapi dans les fantasmes des zélotes littéraires, des addicts du shoot narratif… Ni elle ni lui y croient. Mais lui veut livrer, s’exercer aux nouveaux langages. Elle l’observe, de curiosité et de soupirs, elle n’a aucune envie d’encore le porter…
Une fois ces actions faites, pourquoi ne pas détruire les preuves et archives inutiles à cet exercice ? Brûler la terre aride, abrité, protégé de toute lumière par un large sombréro à perles et floches. Il jouit du bonheur du vide, ferme les yeux, évalue l’amplitude du silence intérieur nuancé par l’acouphénie. Ensuite, il s’empare de cette singularité mémorielle, de ce trésor de papier placé en évidence dans une niche, hors des nombreux espaces bibliothèque de sa maison, de leur maison. Elle désespère parfois face à cette accumulite, lui il se place les mains sur les hanches et balaye du regard sa vie en formats divers, se délecte d’effluves des volumes les plus anciens… dont l’odeur fadasse préfigure la préface.
Mais retour à l’élu. Il tend le bras, déploie la main, active les doigts, s’empare de cette publication 10/18, la respire, profondément, très profondément, au risque d’étouffer ou de se déclencher une crise d’asthme (que d’allergies dans ce corps)… cet ouvrage sacré, il ne l’a plus parcouru depuis tellement longtemps que la poussière a tenté de l’absorber. Mais son âme de fibres végétales survit, et diffuse ses volutes d’encens, ça touche au divin ces trames et textures au parcours alternativement sec et humide. Selon les saisons et les déménagements.
« Tu balises toujours ? » dit-elle. Non, enfin plus vraiment, vu que ce livre nous l’avons vécu ensemble, et que 28 ans plus tard, il nous reste dans le corps, irradiant du palpitant aux yeux, des yeux aux mains, des mains à nos lèvres, il nous unit toi et moi, d’un amour aussi complexe que sincère.
Des indices ? Il ne s’agit pas de l’Abbé C, de Justine, du Voyage d’Anna Blume, non, c’est l’autre, le dernier. Il réalise à la lecture de cette liste qu’en matière de drague c’est un champion. Les quatre premiers bouquins qu’il lui a prêtés, elle les a tous lus, insupportés, nauséés, mais lus. Elle n’a jamais balisé.
Déclarer sa flamme à l’aide de Bataille, de Sade et du plus sombre récit de Paul Auster, c’est l’amour en mode roulette russe…
et honte j’au dégusté chaque tournure, chaque mot de cette évocation avec sourire gourmand
Hello Brigitte, joie de te retrouver, de te lire! Un retour au bercail tout doux, merci.
» Elle désespère parfois face à cette accumulite, lui il se place les mains sur les hanches et balaye du regard sa vie en formats divers, se délecte d’effluves des volumes les plus anciens… dont l’odeur fadasse préfigure la préface. »
On comprend bien que la partie sera difficile , sinon fine et acrobatique… Le narrateur bouilllonne d’imagination mais ça ne le gêne pas, bien au contraire. Il semble habitué à quitter son corps. Sorte de Professeur Nimbus de la phraséologie interconnectée entre l’inconscient et la sonorité sensuelle. C’est une écriture hallucinogène et très récréative. Je m’amuse déjà…
Bonjour Marie-Thérèse, ravi de faire votre connaissance. Merci pour votre commentaire, je suis heureux que vous ressentiez de l’amusement. J’écris comme je pense, comme je vis, dans un constant dialogue intérieur / extérieur hyperactif, avec beaucoup de plaisir à jouer avec le sens, les mots. Les mots sonnent, les mots prennent au corps. C’est particulier, « la partie sera difficile , sinon fine et acrobatique ». Oui, en effet! Entre l’austérité, la condescendance ou encore la cabotinage, ça peut vite déraper. Et je sais que je manquerai pas de me planter. Mais j’assume… sinon pourquoi participer à ces ateliers ? Ils permettent de s’ouvrir à de nouvelles formes d’écriture, brèche que je compte explorer autant que possible.
On est raccord sur l’utilisation possible de cet espace expérimental collectif. Vous parlez d’hyperactivité, et c’est sans doute ce qui donne la vigueur de votre expression, mais vous en jouez bien, on pourrait parler de « dérapage contrôlé », et ça me ramène à ces figures de style observées pendant mon enfance, auprès de la fratrie et de leurs congénères un peu turbulents. J’ai toujours du mercurochrome et du coton à l’eau oxygénée sous le coude. J’espère que votre vaccin anti-tétanique est à jour ? A bientôt, je ne sais où… (on peut y aller POUR VOIR). Merci pour l’écho.
Je ne suis pas turbulent, j’ai même un tempérament assez calme en fait. Le bouillonnement est plutôt intérieur (et explose sur scène), avec le temps et la méditation, j’ai appris à « en jouer », comme d’un instrument de musique (ma pratique), ça touche aussi à l’hypersensibilité, le moindre détail m’attire le regard. Écrire c’est se poser, laisser le dialogue entre inconscient et conscient s’établir, écouter, et tenter de restituer les points forts de cette observation. Mais je note que vous avez toujours sous la main une trousse de secours, vu mon profil, distraction et maladresse… je pratique assidument!