Port-la-Nouvelle. Mais pourquoi fallait-il donc passer le mois d’août dans cette ville moche ? Quatre semaines et pas moins entre la plage naturiste (nous sommes en 1977), le front de mer pour la glace du soir et la supérette pour les merguez du barbecue. Même à l’âge de 7 ans, sans point de comparaison, on sentait que cette ville nouvelle était moche avec ses avenues sans ombre, ses alignements d’immeubles jaunes, ses palmiers nains, ses ciels troublés par les avions publicitaires. Avant le départ on avait acheté, avec l’argent de poche glissé par pépé mémé, un livre, le premier, dans la librairie de madame Royer, au pied de l’immeuble à Levallois. Comment choisir le premier livre — ou plutôt le premier livre sans illustrations de dinosaures, sans Tintin, le premier que seul remplit le texte et rien que le texte ? Dans la librairie de madame Royer les Bibliothèque Rose avaient leur étagère et, juste au-dessus, à portée de main des grands enfants, se trouvaient les Bibliothèque Verte. On n’avait jamais lu de Bibliothèque Rose, ni Oui-Oui, ni Fantômette, ni Club des 5. Ce 31 juillet, quelques heures avant le départ, on avait eu envie d’un livre pour l’été — l’équivalent à soi des volumineux bouquins que ma mère transportait dans nos valises. Un bouquin à lire le matin avant d’aller à la supérette, sur la plage entre deux parties de Jokari, le soir avant de s’endormir. Un bouquin, un seul, pour ce mois d’août 77. Le choix s’est porté sur celui-ci. Peut-être parce que le héros sur la couverture était jeune et beau, parce que le résumé parlait d’histoires d’espionnage, de méchants russes, de bagarres, de satellites menaçant de détruire la Terre. On a traversé la France en R5 la nuit du 31 au 1er — arrivée à Port-la-Nouvelle au petit jour. Le bouquin on l’a commencé le jour même et, contrairement à ce qu’on imaginait, il ne nous a duré que deux jours. On s’imaginait progressant avec peine, déchiffrant peu à peu — on ne se savait pas capable, tout juste sorti du CE1, de lire à cette vitesse. Fin août, remballant les affaires, il a fallu trouver de la place dans les valises pour les 7 autres tomes des aventures de mon jeune et beau héros, espion « solitaire mais solidaire ».
« Même à l’âge de 7 ans, sans point de comparaison, on sentait que cette ville nouvelle était moche » : ah mais oui votre description est saisissante, et tellement drôle !
Oui, drôle et savoureux. Merci pour ce moment de lecture.
Un petit morceau de souvenir dégusté à hauteur d’enfant. Plein de saveurs. J’ai moi aussi des souvenirs accroché à cette ville moche. Un bon ami depuis l’adolescence y habitait. J’y suis retourné pour assister à son enterrement il y a deux ans. C’est vraiment une ville moche.