M’est revenu un livre de l’enfance, deux tomes d’une édition jeunesse, Rouge et Or Dauphine. Un roman illustré. Les longues nattes blondes de l’héroïne sur la couverture cartonnée et brillante. D’où je tenais le livre ? Imprimé en 1964, peut-être qu’il m’attendait dans le garage de la maison où nous venions de nous installer, coincé entre les Delly et les Feval, un héritage de ma grand-mère par procuration. Je ne me souviens plus combien de fois je l’ai lu, trois ou quatre peut-être, l’été, couchée sous la soupente tiède de ma chambre en mâchonnant les liens de ma chemise de nuit. Puis je l’ai oublié, sans doute ma mère n’avait pas jugé bon de le ranger dans les cartons du déménagement de 1981. Son souvenir soudain, il y a trois ans, avec lui le besoin impérieux de le retrouver. Je l’ai acheté en très bon état sur un site de vente de livres d’occasions, à quelques jour de Noël. C’était la même illustration de couverture, un portrait au pinceau de la fillette aux cheveux tressés, vue de dos, son visage de trois quart, son regard plongeant dans le reflet aquarellé d’un lac ou d’une rivière. En l’ouvrant le parfum âcre du vieux papier bouffant, les pages de garde bicolores ornées de silhouettes de fées, chevaliers, dinosaures, chasseuse de papillons. La police grasse. Je l’ai relu, presque d’une traite, les deux tomes. Mon amie retrouvée, son type était singulier… Alors je la suis avec son chagrin, je la suis qui bat la campagne, qui tresse des roseaux pour fabriquer une paire d’espadrilles, je la suis qui ne se décourage jamais, se réveille aux oiseaux, ses yeux comme ses idées avaient pleine liberté de courir comme elle voulait. Je me souviens comme j’enviais sa vie vagabonde, solitaire, son courage, comme je traversais les paysages si finement décrits, les orages, convoquais le parfum des fougères sur lesquelles elle se couche, le goût des groseilles à maquereaux qu’elle sert en dîner de fête à son invitée. Je devine la force que j’y puisais enfant. Je suis saisie par ces jalons : les saltimbanques, la photographie, le deuil, la quête des origines. À la relecture me frappe cette fâcherie familiale, l’enquête, le grand-père retrouvé. Avais-je compris enfant à quel point ce livre était un miroir, comme nous étions liées elle et moi ? Le roman est aujourd’hui tombé dans l’oubli, de l’auteur on a surtout retenu les aventures du petit Rémi. Je n’ai pas conseillé cette lecture à mes filles, c’était trop tard, elles vivaient déjà chez d’autres livres. Et il me plaît que la petite fille aux nattes blondes reste mon alliée secrète, depuis que nos fronts moites de chagrin se sont touchés, sous la mansarde d’enfance.
Merci pour ce partage
merci pour le passage, maintenant je vais pouvoir plonger dans vos lectures à toustes 😉
livre miroir … et toujours cette précision sensible et sensuelle des souvenirs ( ah les couvertures de livres !c’est une sacrée question je me souviens que le portrait de femme d’Ingres sur la couverture de Madame Bovary a accompagné et enfermé ma lecture d’E Bovary réduite à une image … pouvoir rêver ce visage et ce corps le voir se métamorphoser rester vivre ouvert par le pouvoir des mots)
oui, tellement important la couverture (héhé tu vois ce que je veux dire…), et qui m’ont un temps donné envie de devenir illustratrice, merci Nathalie
« M’est revenu un livre de l’enfance, deux tomes d’une édition jeunesse, Rouge et Or Dauphine. Un roman illustré. Les longues nattes blondes de l’héroïne sur la couverture cartonnée et brillante […]. Je devine la force que j’y puisais enfant. Je suis saisie par ces jalons : les saltimbanques, la photographie, le deuil, la quête des origines. À la relecture me frappe cette fâcherie familiale, l’enquête, le grand-père retrouvé. Avais-je compris enfant à quel point ce livre était un miroir, comme nous étions liées elle et moi ? […] Et il me plaît que la petite fille aux nattes blondes reste mon alliée secrète, depuis que nos fronts moites de chagrin se sont touchés, sous la mansarde d’enfance ». Je pourrais dire à peu près la même chose du livre inconnu que j’ai évoqué pour ce prologue. Un livre qui colle à la peau d’autrefois, si perméable, si impressionnable, un décalcomanie ? On a oublié le livre ( son contenu intégral) mais les émotions sont indélébiles.
j’aime bien cette image, décalmomanie, et nos émotions partagées
ah! Touchée ! une fois encore, par petites touches, toujours, comme les petits pas des cygnes dans le lac éponyme, ça vous fait un effet !
je reprends des forces en te lisant ce matin, j’ai en plus cette image des ballerines un jour de grève à l’opéra, sans costumes, éclairages réduits, je peux te dire que les petits pas c’était quelque chose !
Superbe, merci Caroline!
« précision sensible et sensuelle » sit Nathalie… je hoche la tête
lire « en mâchonnant les liens de ma chemise de nuit » (cet état physique de la concentration, l’entrée dans cet ailleurs), c’est si bien dit (le tout) (et l’effet miroir qu’on n’a pas compris au moment où ça se produisait, ahlala)
Laurent, Brigitte, Christine, merci pour vos passages et réconforts