Quand l’écriture prend à la gorge, révolutionne l’approche du roman et ouvre des champs nouveaux, c’est comme une révélation intérieure irréversible, une empreinte vivace dont la trace marque à jamais la vision de ce que j’ai ressenti à la lecture de ce roman. La modernité éclatait devant mes yeux et me laissait entrevoir les possibles de l’écriture de demain, celle que je rechercherais au cours des décennies suivantes, à l’affut d’autres découvertes d’écriture, d’autres mots. Des mots qui entreraient à l’intérieur de moi, résonneraient et bousculeraient mon confort de lectrice. Des mots qui m’habiteraient, m’inviteraient à écrire. Des mots qui m’accompagneraient et fortifieraient les miens. Ce livre a su apaiser une faille intérieure en béance ou du moins la faire exister sans trop de douleur, et inventer d’autres formes d’écriture, m’ouvrir à cette nouvelle écoute. Je revois cette scène de l’annonce comme un écho à ma propre expérience, et plus loin cet éclat de lumière, la bascule vers ce sentiment de l’existence de l’absurde qui questionne sans qu’on puisse apporter de réponse, mais qu’importe la réponse, seule sa présence suffit à justifier ce qui est. Ce roman, c’est comme s’il avait toujours été là, en état de latence au début, en observation. Il s’est fait plus présent à l’adolescence, puisque repéré physiquement dans la bibliothèque de mon grand-père, et il a pris toute sa place à l’orée de la période où notre regard se tourne vers le monde des adultes. Je l’ai eu entre mes mains sans pressentir ce qu’il deviendrait pour moi, mais le nom de l’auteur s’était inscrit dans ma mémoire, le titre également. L’exemplaire de poche de mon grand-père qui devait appartenir à mon oncle a disparu dans un déménagement. Alors, je l’ai acheté une première fois au début des années 80 avec cette impression lointaine d’un attachement sans fin, comme une intuition, j’étais très jeune, mais j’ai compris l’importance ou du moins l’influence que ce texte allait exercer sur moi. Lu et relu à des années d’intervalle, la couverture a jauni, les pages aussi, la tranche a cédé, des blocs de feuilles se sont détachés. Le livre est devenu sec, léger, paradoxalement les pages se sont épaissies. Mais quand je l’ouvre, une odeur de poussière incrustée me saisit, son vécu persistant me rassure, m’invite à une nouvelle lecture, et même si j’ai un exemplaire plus récent, le premier reste celui auquel je tiens le plus. Compagnon fidèle et discret, il m’accompagne dans les méandres de ma vie. Dans mon chemin vers l’écriture, il se manifeste en me convoquant vers des lieux inconnus qui deviennent familiers, me parlent, me préoccupent, il me conduit parfois vers des sensations que je peux mieux ressentir, imaginer. C’est une source intarissable vers laquelle je reviens toujours.
« les mots coupants » de Laurent résonnent ici (presque à rebours). Ce roman qui apaise une faille intérieure mais avec ces mots qui bousculent le confort de lectrice. C’est beau l’intensité de cette rencontre qui se prolonge. Merci Dominique
Merci Nathalie pour ce retour. Très touchée
quand on trouve cet accord avec l’écriture et ce qu’elle dit et que ça ne s’efface pas c’est Le miracle
Oui Brigitte, c’est magique ! Merci pour la lecture