Il y avait ce souffle, ce charroi, cet ouragan, ces mots géants qui frappaient, et ces gens, ceux du livre, cet homme, cette enfant, tout un monde sombre et palpitant, toute une errance, des hauts et des bas, des effondrements, et cette tendresse aussi, il y avait tout, ces longs passages où l’on se perdait, cette admiration (comment sait-il tout cela ?) et les pleurs, à la fin, jamais cru qu’on pouvait pleurer en lisant. Les mots se heurtaient comme dans la tête du héros, dans ma tête, dans le livre, les mots se déchaînaient, il y avait le sac et le ressac, tout, son contraire, on avait enfin trouvé du solide puis ça s’ébranlait, ça tombait, ça creusait si profond, et on en était sonné, de ce déluge de mots dans la tête, dans le livre, débordant tout (ce mot, tout, c’est ça, ce livre).
Il était là depuis toujours, ce livre. Il attendait. Couverture bleue. Deux tomes. Il trônait. Il disait à l’enfant : tu me lis, chiche ? Et l’enfant (j’avais quoi, treize, quatorze ans ?) s’est noyé, comme celui du livre, qui se noie, qui sombre, qui remonte à la surface tant de fois puis replonge. Un livre plein de tout, voilà ce que c’était, un livre infini, avec des cris et des murmures, des mots qui débordent, mots d’eau et de boue, mots doux, mots durs (poursuivre, ce serait imiter), et arrivé à la fin, dans ce lit d’adolescent, ne pas pouvoir, ne pas vouloir l’abandonner, se promettre de recommencer sans fin ce livre, de reparcourir cette vie, ces vies, et tu prends ton stylo et tu copies, tu voudrais juste copier ce livre, comme les moines d’antan, du début à la fin, et aussi le relire mais à haute voix, le déclamer, le jouer, devenir tous ceux du livre, devenir lui, mais ce livre est un monstre, il ne se laisse pas faire, tu attendras longtemps avant de le relire pour de vrai, mais devenu adulte le livre t’assomme, te voilà prof de français, tu vois les ficelles, la rhétorique, les figures, tu te dis que ce livre, c’est de la chair à commentaire composé, tu as perdu le feu sacré, et pourtant, soudain, c’est à nouveau le charroi, l’horreur, le va-et-vient, la tempête. Ce livre, tu n’en as pas fini avec.
« et arrivé à la fin, dans ce lit d’adolescent, ne pas pouvoir, ne pas vouloir l’abandonner, se promettre de recommencer sans fin ce livre, de reparcourir cette vie, ces vies, et tu prends ton stylo et tu copies, tu voudrais juste copier ce livre, comme les moines d’antan, du début à la fin, et aussi le relire mais à haute voix, le déclamer, le jouer, devenir tous ceux du livre, devenir lui, mais ce livre est un monstre, il ne se laisse pas faire, tu attendras longtemps avant de le relire pour de vrai, mais devenu adulte le livre t’assomme, te voilà prof de français, tu vois les ficelles [..].
Le livre ce roublard !
« Couverture bleue. Deux tomes. Il trônait. Il disait à l’enfant : tu me lis, chiche ? Et l’enfant (j’avais quoi, treize, quatorze ans ?) s’est noyé, comme celui du livre, qui se noie, qui sombre, qui remonte à la surface tant de fois puis replonge. Un livre plein de tout, voilà ce que c’était, un livre infini, avec des cris et des murmures, des mots qui débordent, mots d’eau et de boue, mots doux, mots durs (poursuivre, ce serait imiter), » C’est très beau . Merci
J’aime assez le regard adulte sur l’ancien livre chéri, et cette ambiguïté, un moment on pense voir toutes les ficelles, et pourtant, un petit rien subsiste et ce n’est pas si simple.