Il existait déjà, accroché à la cime des pins, flottant sur les lacs, il existait au bout du chemin, il existait dans des récits de famille, dans les rencontres, des histoires d’ancêtres pauvres, parfois marins ou journaliers, une émigration massive vers les USA, il existait dans des lectures antérieures. Mais où l’ai-je trouvé ? Sur le web probablement, commandé, reçu. La tranche et une partie de la couverture sont bleu clair ; ni le titre français ni la photo de couverture en noir et blanc ne traduisent ce qu’est pour moi ce livre. Je le lis probablement vite, dans un appartement avec une baie vitrée et un lit en mezzanine ; l’hiver. J’en lis d’autres du même auteur, empruntés dans le silo de la bibliothèque de la ville. Je mélange sans doute les passages, puisqu’il y a une part autobiographique dans beaucoup. Il n’y a pas de tentative d’écrire au cours du roman, beaucoup de marche. L’auteur était déjà reconnu comme poète dans son pays : pas de rage de lire salvatrice comme dans d’autres livres initiatiques que j’ai pu apprécier en leur temps, pas de monde et de murs de livre avec et contre quoi se dresser, rien à renverser que la poussière des chemins. À qui en parler ? J’ai rarement discuté avec quelqu’un qui l’ait lu, une seule fois sur une brocante avec un bibliophile qui connaissait son traducteur, aujourd’hui disparu.
La fuite et la libération du final me fascinent toujours. Qu’en si peu de mots qu’en si peu de scènes les choses soient dites, que le crochet à évasion de la fiction ait pu viser si juste. Certaines images aussi, qui se prêteraient à une lecture toute bachelardienne.
Il a plu plusieurs jours. Je suis fatigué ; enfin le soleil est là. Je m’arrête au bord de la piste. J’étends des affaires à sécher et me prépare du café. À contre-sens, un homme arrive et s’arrête. Sa veste en cuir rouge est craquelée comme ses pneus ballons de même couleur, bien gonflés ; sa barbe blanche est taillée sur un visage sec, tanné par le soleil, avec un regard clair qui laisse entrevoir défiler des paysages. Il tient les revers de sa veste en parlant, avec une étrange prestance. Je lui propose du café, il sort de sous son bagage soigneusement roulé une bouteille de jus de fruit qu’il préfère. Nous nous asseyons côte à côte sur le banc et discutons ; en face de nous l’herbe mouillée et une rivière brillent aux doux rayons du soleil. Je pense à l’homme de la couverture, il pourrait lui ressembler. J’aurais pu lui parler de ce livre, qu’il connaissait déjà.
Peur de dire des bêtises, quand l’on apprécie le fameux « je ne sais quoi ». Eh bien là, c’est le cas. Ce livre mystérieux est réellement présent, incarné presque.
Je ne sais quoi répondre, merci de la lecture !