De ces odeurs je n’ai pas parlé.
Son odeur à lui. Son odeur à elle. Toutes les autres.
Odeur brûlée incendie d’un monde fatigué qui le lacérait le laissait démuni.
Où était-il ? Elle l’attendait.
Elle le cherchait partout dans la maison. Son odeur à elle était sucrée. C’était l’odeur du pain d’épices. Celle du miel. Des hortensias que souvent elle fréquentait. De l’herbe qu’elle mangeait, où elle se roulait. C’était l’odeur de la cannelle. Son odeur à lui, elle la cherchait dans tout, dans rien, âcre, monstrueuse, difforme, l’odeur des mains qui la caressaient, celle de son cœur qu’elle entendait battre, celle de sa voix qui répétait son nom, son odeur de poussière et de regrets.
Elle l’attendait.
Désespérément.
Elle l’attendait.
L’attendait encore.
Elle espérait.
Son nez à elle, c’était ses yeux. Tout ce qu’il avait sous la main, il le lui tendait, le lui faisait sentir, son petit nez qui remuait l’amusait. Petit nez plein de curiosité se distordant au contact d’un oignon, d’une tomate, d’un citron, d’un stylo, d’une feuille de papier, d’un ruban adhésif, de lunettes, d’un casque audio, d’une boite de chewing-gum, d’une bouteille d’eau vide, d’une cuillère, d’une fourchette, d’une serviette, d’une brosse à dents, etc. Il tendait ça, elle se rapprochait, un chouia méfiante, son nez remuait, elle identifiait le monde, le scannait, elle en saisissait les secrets les plus moroses, puis ayant perdu tout intérêt pour la chose, elle s’éloignait.
Elle cherchait sa trace dans le linge par terre. Le linge était sale, plein de sueur. Son pelage prenait ce parfum elle s’en recouvrait. Gardienne d’un trésor dont elle seule mesurait l’importance, elle se mettait dessus, elle attendait là.
Parfois, elle se mettait sur le siège où, habituellement, il était assis. Elle exigeait que toujours on lui donne la place. S’il ne se levait pas, elle miaulait, sévère. Seulement là, elle savait miauler. Il s’exécutait aussitôt. Et sur le siège, elle s’endormait, pleine de sa chaleur, pleine de son odeur, pleine de ses angoisses.
Elle avait une odeur sucrée. Celle des livres aux pages vieillies. Celle des forêts en cendres, à l’agonie. Celle des peuples à l’agonie, en sang. L’odeur de la joie de vaquer dans le jardin, de se cacher dans les hortensias, dans la cabane en bois, dans le bric-à-brac du voisin. Elle avait l’odeur des jeux. Des rêves qu’elle rêvait. L’odeur de la douleur de vivre.
Il avait une odeur âcre, monstrueuse, difforme. Au réveil, elle s’élevait, ébranlait tout, fissurait tout. Elle était la seule à la supporter. Elle l’aimait, la cherchait partout dans la maison. Certaines nuits, ce n’est pas sur le siège où il était assis qu’elle voulait dormir, c’est dans ses bras. Elle exigeait qu’il la porte. Il s’exécutait. Le temps avait passé. En deux ans, elle avait tellement grandi, elle était plus lourde qu’au début. Mais servilement, comme quand elle avait trois mois, il la portait, supportait ce poids, parce qu’il l’aimait, parce qu’il ne voulait pas lui faire de la peine. Leurs odeurs se mêlaient. Elle, son odeur sucrée, légère. Lui, son odeur de cadavres et d’incendies, de colère, de peur, de ressentiment.
Elle l’attendait
Désespérément.
Elle l’attendait.
L’attendait encore.
Elle espérait.
Quand ça puait elle savait qu’il était là.
pas déçu 🙂
Merci 😀
c’est tres beau. et cette histoire d’odeur, ca venait bien à point , pour elle.
Merci. Les odeurs, c’est la passion des chats.
« une odeur sucrée. Celle des livres aux pages vieillies. Celle des forêts en cendres, à l’agonie. Celle des peuples à l’agonie, en sang » (c’est magnifique)
Merci. J’ai essayé de regarder certaines angoisses en face.
beaucoup aimé ce rythme presque de chanson, « elle l’attendait, elle espérait »
goûté l’odeur de miel et de pain d’épice, l’odeur des hortensias où elle se cache (tout comme ma petite bête qui adore aussi prendre le frais à cet endroit) même si les hortensias n’ont pas vraiment d’odeur, mais il y a l’humide, la litière confortable composée par les tailles successives et l’émiettement des anciennes fleurs….
C’est vrai que ça ne sent pas trop. Ce qui sent, c’est surtout son image dans les hortensias.
« Elle exigeait que toujours on lui donne la place. »
Chat s’impose. C’est comme chat désormais.
Bravo Jad. Excellent. Place aux non humains, dans et hors la ville.
Il faut toujours se plier devant les chats. Un jour, ils prendront le pouvoir.
Très beau, si juste (me donne la nostalgie d’un chat)
Merci
Superbe ! Merci !
Merci à toi
Une belle histoire d’attachements. Les 2 portraits tout en odeur sont très réussis.
Merci. Ce mot « attachement », ça décrit bien la relation des deux personnages.
« Elle avait une odeur sucrée. Celle des livres aux pages vieillies. Celle des forêts en cendres, à l’agonie. Celle des peuples à l’agonie, en sang. L’odeur de la joie de vaquer dans le jardin, de se cacher dans les hortensias, dans la cabane en bois, dans le bric-à-brac du voisin. Elle avait l’odeur des jeux. Des rêves qu’elle rêvait. L’odeur de la douleur de vivre. » c’est très beau. j’aime comme le texte se déploie ouvre se fissure s’aggrave . ( j’aime les chats les encore plus chattes, nul besoin d’aimer les chat ou les chattes pour aimer ce texte et sentir l’odeur de son cœur qui bat )
Merci. Il y a beaucoup d’idées reçues sur les chats (et les chattes). On peut ne pas les aimer. Mais moi, Clémentine m’a aidé à me raccrocher à la vie. C’est ce que j’ai envie de célébrer.