#été2023 #02 | en deux temps : à blanc

Blanc. Impression de vide. Vide ou seulement rien de visible encore (hôpital, banquise ) manque l’odeur de soupe désaffectée. Blanc comme rage de dent. N’y voir que blancheur  : surexposition à peine supportable. Être aveuglé. Blanc.  Croire qu’il n’y a rien qu’un vide blanc. Avec une lumière rasante on verrait que ce n’est pas vide. Lumière scialytique? D’où provient la source. Ne rien distinguer alors prendre la mesure de l’espace : une enjambée pour un mètre —on peut aussi mesurer avec la main, en la posant bien à plat : vingt centimètres de l’extrémité du pouce à celle de l’auriculaire. Dans mon métier on oublie facilement ses outils ( le mètre c’est un classique ) : mesure avec ton corps et ferme là.
Ici quatre enjambées de mur à mur. Quatre mètres dans la largeur : la longueur se perd dans la blancheur : loin. Comme dans la brume. (Venise). Un couloir ou plutôt une galerie sans fin. Et ce bruit d’eau. Quelque part de l’eau coule. A l’oreille l’eau. L’oreille creuse. Et le blanc se nuance. L’œil s’habitue.
Il y a des formes longues, des choses posées. On dirait des socles. Ce sont des socles comme dans la galerie d’un musée : posés à une demi-main des murs. De chaque côté. Un tous les cinquante centimètres environ : une allée de socles vides,  ils m’arrivent au-dessus du nombril. J’avance la main ( elle a vieilli les taches les veines les os cette couleur de cire qui tranche avec le blanc ) : les arêtes effilées coupantes. Lisse froid de surface. Comme marbre. Des socles de marbre et sur chacune des face à une épaisseur de doigt en dessous du bord haut, bien centré, il y a un cartel avec des points en relief blanc sur blanc.
Une dizaine de socles plus loin sur la gauche dans un renfoncement sous une housse de cellophane blanchie de résidus, des statues. Poussière blanche ( plâtre mort, héroïne, farine). Un groupe. Les yeux énormes. De taille humaine (1m75 environ, un gabarit de silhouette de maquette). De l’autre côté contre le mur un pongé de soie pend retenu par des pinces : blanc. Un pongé pendu flotte blanc sur blanc. A peine un mouvement : d’où provient l’air ? S’il y avait une  fenêtre derrière il y aurait de la lumière en ombre. Un pongé comme un rideau qui ne cache qu’une fissure dans un mur. Une entaille profonde. Et l’eau sur le sol, une flaque. Ce sol bâché blanc et le reflet des stèles dans la flaque.
Cinq mètre encore Et la brume se dissipe: des cabines de verre, vides elles aussi comme les socles. Et loin encore, une tache sombre. Dix mètre en comptant ses pas : la casquette lui retombe sur les yeux. Assoupi. Ou bien il est mort. Assis. Face à lui sur la droite ( ici la pièce s’est considérablement élargie). Ce sont les statues de ce tombeau , ce sarcophage étrusque qui se trouve au Louvre. Une copie. Un plâtre. L’homme a posé sa main en suspend au-dessus de l’épaule de la femme, il a le torse nu et des cheveux en torsade. Elle porte un turban, un drap enserre ses seins. Leurs grands yeux en forme d’amande et leurs sourires : une douce ironie. Qui s’aiment en tombeau. Et le gardien.

deuxième version d'un exercice  qui ne veut pas venir 

(face A) Blanc. Impression de vide. Blanc. Ou rien de visible encore : Hôpital, banquise (l’intérieur du publicitaire ?). Suaire. Blanc comme rage de dent. N’y voir que blanc : une blancheur à peine supportable. Comme passer de l’obscurité à la lumière.  Aveugle.

Midi dans le midi. Il m’avait emmenée dans une maison avec une terrasse qui donnait sur la mer. De ma chambre je voyais le jardin. Et les statues regardaient.

Blanc. Il faut s’habituer. Blanc comme être aveuglée. Pas noir. Dans le noir tu ne peux pas voir ton pied qui avance ni ta main qui se pose : ma main c’est terrible comme elle a vieilli. Blanc… manque l’odeur de soupe désaffectée. 

Je me souviens de l’odeur entêtante du lys ce jour-là ; je suis assise dans le salon les jambes nues et l’assise tressée du fauteuil marque ma peau ; à côté sur une table d’appoint en demi-lune il y a le lys. C’est dans la pièce la plus fraiche de cette maison louée, trois canapés, un piano blanc. Les persiennes et les fenêtres même les voilages, tout est fermé : on m’apprend qu’il ne faut pas laisser entrer l’air ni la lumière. Calfeutrer. Ce lys sent la mort douce.

Blanc. Je me dis que je viens seulement d’entrer, c’est une question de patience. La porte de droite je l’ai poussée. La plus à droite, la deuxième. J’avais le choix; sur la gauche il y avait trois portes. J’ai pris sur la droite : j’ai le temps pour remonter le temps. Blanc.

Blanc. Croire d’abord qu’il n’y a rien. Rien qu’un vide blanc. Je me dis que puisque je ne distingue rien je vais prendre la mesure de l’espace : une enjambée pour un mètre. On peut aussi mesurer avec la main, en la posant bien à plat : vingt centimètres de l’extrémité du pouce à l’auriculaire. C’est une chose que j’ai apprise dans mon métier, (on oublie facilement ses outils : le mètre c’est un classique ) : ne pas être prise au dépourvu. Alors mesure avec ton corps et ferme là.

Ici quatre enjambées de mur à mur. Quatre mètres dans la largeur: c’est beaucoup pour un couloir. La longueur se perd dans la blancheur. Loin. Comme dans la brume. Et ce bruit d’eau. Un écoulement. De dessous la plinthe, un filet. La flaque dans la blancheur un glacis et le reflet des socles. Le tremblement blanc des murs.

Je me souviens qu’il m’avait emmenée déjeuner dans un jardin avec une allée de graviers blancs, ( quand je marche à côté de toi  je m’ouvre comme une feuille d’acanthe disait le un rêve) une allée bordée de cyprès.  Il y avait des lauriers couverts de fleurs dans des pots de terre cuite et des figuiers de barbarie. Il m’avait demandé ce que je voulais boire. Rouge ou. Il avait commandé du champagne. Une enfant ne boit pas. Une coupe.

Blanc. Avec une lumière rasante on verrait que ce n’est pas vide. Mon œil s’habitue. Ça se nuance : des formes blanches. Ce sont des socles, un tous les cinquante centimètres environ; des socles nus à une demi main des murs. De chaque côté. Une allée de socles vides. Supports sans âme qui vive. Et il y a des cartels avec des lettres en creux blanc sur blanc.

Je me souviens des derniers jours de mai dans cette maison du midi qu’il avait louée. Je passais les journée seules. Des heures interminables. Le propriétaire avait fait installer des caméras de surveillance. Dans la pièce calfeutrée je voyais la terrasse et la mer devenues grises, ce plan fixe avec du bruit dans l’image et parfois un oiseau se posait.

Blanc. Et dix mètres en avant les statues m’apparaissent sous leur housses de cellophane. Un groupe. Leurs yeux énormes. En premier les yeux. Blancs. Plâtre. Poussière blanche. Résidus de ponçage.

Je me souviens qu’il m’appelait sa petite. Ma merveille il disait. Il faudrait qu’il tombe. Il faudrait le pousser du haut de la terrasse.

Blanc. Cette fois avec une brillance, un pongé pend retenue par des pinces. Si c’est une fenêtre derrière il y aura de la lumière. Un pongé flotte blanc. Ne cache qu’une fissure dans le mur. Et. En avançant la brume se dissipe. Tout au bout. La tache sombre. La casquette lui retombe sur les yeux. Il s’est assoupi mais il veille. Là juste devant lui. Ce sont les statues de ce tombeau étrusque qui se trouve au Louvre une copie. Un moulage. L’homme a posé sa main en suspend au dessus de l’épaule de la femme, il a le torse nu et des cheveux en torsade. Leurs sourires une douce ironie . Elle porte un turban, un drap enserre ses seins. Leurs grands yeux en forme d’amande.
Ils s’aiment en tombeau. Le gardien veille.

Je me ne me souviens pas de l’heure. Je crois que le vent s’était levé. Il faisait jour. Encore. J’ai poussé la porte et je suis partie. La lumière brûlait.

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

9 commentaires à propos de “#été2023 #02 | en deux temps : à blanc”

  1. Je connais cette pièce, ce couple ce sarcophage des époux ( j’ai travaillé au Louvre dans une autre vie) et drôle, j’arrive à me souvenir de cette première fois où je l’ai vue, grâce à ce texte. Peut-être aussi des zones d’ombres et d’éblouissements qui se recréent soudain; il m’a semblé à l’époque que la femme portait une sorte de casque, un genre de tiare. Le sourire en arrivant au bout.

    • Avec le souvenir flou et sans revoir l’image ( elle porte une sorte de tiare oui et un turban… la main de l’homme est posée sur l’épaule de la femme) j’avais d’abord découvert la version qui est à Rome.

  2. par exemple, j’aime beaucoup
    ferme là.
    pour l’accent sur le a
    j’aime beaucoup aussi « à l’aveugle » (il y a un livre de Claudio Magris, qui a écrit aussi un « Danube » formidable, qui porte ce titre) (on porte un titre ?) et le braille (il vient de Louis) (j’avais une amie, lointaine, qui ne me connaissait (comme tous les aveugles) que par ma voix et mon odeur (le lys), avec laquelle, souvent, j’arrivais et à qui je prenais le coude en lui disant « c’est moi, je t’emmène » et elle riait) (j’étais aussi assez ami avec un des types sourds de l’endroit – pour dire « bonjour » on pose trois doigts sur son menton et on les dirige vers celle ou celui à qui on adresse ce vœu) – une enjambée vaut un mètre pour les personnes plutôt grandes tsais – tout ça pour dire que très souvent sur les disques noirs, je n’écoutais (il me semble me souvenir) que la face A – tout à coup revient Barry White (un disque de ces années-là, avec Hair ou d’autres, qu’on trouvait dans les braderies) – la face A, oui. J’ai reçu un commentaire (d’Alexia) qui indique « adorer » mais il y avait une maxime quelque part, il me semble (je n’ai jamais été dans la mouvance liturgique ni quoi), qui dit « on n’adore que dieu » (on y met certainement une majuscule et on le garde au singulier) – mais en fait oui, si je n’adore pas, j’aime beaucoup. Surtout la face A. Même avec son drame.
    Et merci en tout cas.

  3. Une œuvre au blanc, toute aussi alchimique et puissante que celle du Zenon de Yourcenar. Votre opus aux deux faces transmute et transporte : d’un décor onirique que seul le corps mesure au gardien incongru des époux de Cerveteri, vous dissipez la brume des rêves et faites ÊTRE ce qui ne voulait pas venir. Merci Nathalie Holt. Merci et bravo : magnum opus.

  4. Les blancs de la vie sont de toute sorte. Ils sont plus ou moins maléfiques, mais certains contiennent les plus fortes empreintes qu’on puisse imaginer. Le blanc occulte, le blanc guérit. Le soleil blanc est l’antidote du soleil noir de la mélancolie, mais il tarde parfois à virer sa cuti. Je pense aux tableaux noyés de lumière, à la fin de la vie du peintre lyonnais Jacques Truphémus. Le réel y est encore englouti dans l’extrême puissance du regard intérieur. Le blanc de l’amnésie, le blanc insaisissable et ses paradoxes d’endeuillé. Le blanc qui est la synthèse des couleurs de l’arc-en-ciel… Merci pour ce petit périple immersif dans le souvenir et pour ce mot « pongé » que je ne connaissais pas.

    • Patrick, Piero, Géraldine, Marie Thérèse. Merci beaucoup pour le passage et les échanges.

  5. Rétroliens : #02 bis #Jokari | impuissance – le Tiers Livre | écrire, publier, explorer