#été du roman #03 Stein | la lettre

Cette histoire de parfum et de lettre trouvée dans un placard de cuisine on ne va pas en faire un roman a dit Marianne à Bérénice (à chacun des enfants un prénom de théâtre : Marianne, Bérénice, Camille le fils… et Lisette); Lili la dernière, partie à vingt ans, géomètre de formation : trente qu’elle vit dans l’état de New York ; dix qu’elle a lancé sa petite entreprise de biscuits : des galettes au beurre salé façon Odette et ça marche comme pas possible.
Comme je ne l’ai pas dit c’est Odette qui faisait les ménages ici : veillait à tout, au placard à son « désordre », à ses secrets ; Odette Le Goëlic arrivée de Bretagne à seize ans : jolie comme une pomme Odette qui avait travaillé cinquante ans dans cette maison, celle qu’il faut vendre à présent. Odette devenue vieille dans sa chambre sans balcon, en EHPAD depuis janvier : vue sur cour. (Tu le savais ? a demandé Marianne à Bérénice en arrivant); de la chambre on entend l’océan suivant le vent. Odette devenue sourde avec le temps qui porte le bruit du vent et les vagues en dedans, oui depuis le temps, quelques coquillage sur l’étagère et la photo des noces avec Jean. La robe blanche à broderie de rideau, la coiffe puis la blouse acrylique vichy ou fleurs selon, sans manches, au parfum de savon et de sueur, d’Odette : lavande et roses. Odette et son mari Jean. Jean Neveur, un doux très doux, fils de pêcheurs, qui voulait faire garagiste ( un petit cousin tient le garage Renault : Jean-louis). Jean toujours malade, quelque chose dans le sang (on n’a jamais su) ; couleur de seiche le Jean, tout gonflé et blanc, mais doux, si doux avec des longues mains à caresses : de pianiste avait dit le curé ; Jean priapique mais sur le tard, à cause des médicaments disait Odette ( Odette qui avait même « changé le docteur »pour voir ) : quand il a pu dresser son mât et souffrir tellement à pas pouvoir le redescendre, bah c’était trop tard! racontait Odette qui n’aurait jamais eu d’enfant mais vénéré Patrice comme un saint : Patrice Le Goëlic son neveu monté en grade aux Pompes Funèbres : c’est mon neveu qui gère l’agence de Vannes; s’il aime les garçons? Faut pas regarder dans l’amour des gens disait Odette la veuve de Jean Neveur qui gardait les secrets . Odette le Goëlic en icône sur les boites à biscuits d’Amérique : oui c’est un portrait d’Odette à vingt ans.
Marianne n’aurait rien dit pour la lettre trouvée sous les cartes postales de Rome s’il n’y avait eu le regard de Bérénice : Bérénice qui voit tout, la seconde, quinze mois d’écart avec Marianne, comme des jumelles irlandaises . Et s’aiment et se froissent un mois sur deux. Bérénice est-ce que ça prédestine, un nom un prénom ça vous marque à jamais? Passionnée, exigeante, brillante, en colère, épuisante, avec des amours qui… : Bérénice tu vois un rapport avec son prénom pas choisi ? Si tu dois écrire un roman fais gaffe au nom de tes personnages avait dit Marianne à Bérénice ( Anne-Marie Stretter que c’est beau ou bien Blanche Morgenstern, Jeanne Duval, ) Elle aurait aimé s’appeler Marguerite Marianne. Bérénice avait échappé de justesse à Rachel, Sarah elle aurait tant aimé … Comme je ne l’ai pas dit, sous les cartes postales de Rome sans signature il y avait une lettre dans son enveloppe, un prénom et un nom au dos : Pierre Reznikoff. C’est lui qui écrivait les cartes de Rome… Regarde l’écriture ! a dit Bérénice, cette lettre qui parle de la pluie : vous viendrez vous verrez la pluie ici l’odeur de la terre ici je sais que vous l’aimerez vous viendrez je vous attend… Reznikoff comme le poète ? ou le bien musicien ? dans tous les cas c’est pas Pierre le prénom … Tu es sûre ? Un américain a dit Bérénice après avoir lu la lettre: dans les fautes j’entends l’accent.  Il l’aura aimée toute sa vie. Pourtant elle est restée fidèle au même… au même parfum tu veux dire. Pour les hommes ce n’était pas pareil. Mais lui…?

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

5 commentaires à propos de “#été du roman #03 Stein | la lettre”

  1. J’aime beaucoup. Ce passage d’un personnage à l’autre, ces vies reliées entre elles, la vieillesse, et petite évocation de Marguerite Duras au passage, une de mes autrices préférées.

  2. Que de vies dans le temps. Merci Nathalie Holt pour cette saga fluide et brève et si riche à chaque instant, si présente. Et merci aussi pour Reznikoff. L’objectivisme qui est le votre dans vos écritures a une indéniable force. Elle aimante. Indéniablement. Fortement. Merci Nathalie Holt.

    • drôlement bien entamé – on attend la suite – merci… (d’ailleurs Odette, j’en connais deux autres de cette eau-là – connaissais, au vrai – merci aussi de m’en faire souvenir)