C’est le troisième couvercle en fer, sa poignée minuscule en fer elle aussi comme un accessoire de poupée, les bords cabossés, la rouille blanche et le salpêtre des murs ; entre chaque assiette un dépôt de sable comme un reste de dinette. Trois tasses, une porcelaine translucide : dragon et fleurs de Chine, toutes ébréchées; et ce coquetier peint à la main : la couleur diluée, on ne lit plus le dessin, reste le M : Marie ou Mer…, le jaune durci de l’œuf, fossile sous la pulpe du doigt et la cuillère en bois avec la trace des dents. Dans une boite à gâteaux (âne en culotte beurre sucre et sel ) un nécessaire de couture et un boudin de cuir ( elle se lustrait les ongles tu te souviens ), des cartes postales sans signature, toutes de Rome. Dehors la pluie tombe au ralenti, le soleil luit (le diable bat sa femme et il marie sa fille, c’est le diable après tout il ne fait pas que se nicher dans les détails). Tout au fond derrière le saladier qu’on soulève à deux mains, il y a un flacon de parfum, l’étiquette piquée de taches : Après l’ondée. En notes de tête l’anis, le bourgeon de cassis, le Néroli, la Bergamote et le Citron ; en notes de cœur Violette, Racine d’iris, Mimosa, Œillet, Bois de santal, Ylang-ylang, Vétiver, Rose et Jasmin; Et pour le fond l’iris, Héliotrope, Vanille, Musc, Benjoin, Styrax et Ambre. Ce n’est pas le parfum qu’elle portait, elle est restée fidèle au même : toute sa vie le même parfum. Un cadeau qu’on lui aurait fait à cause du nom? quelqu’un qui la connaissait assez pour savoir qu’elle aimait la pluie : Anis, Bourgeon de cassis, Néroli, Bergamote et Citron… Non Hélicryse sable et pomme de pin sous la pluie un mois de juin…
« elle est restée fidèle au même : toute sa vie le même parfum. Un cadeau qu’on lui aurait fait à cause du nom ? quelqu’un qui la connaissait assez pour savoir qu’elle aimait la pluie : Anis, Bourgeon de cassis, Néroli, Bergamote et Citron… Non Hélicryse sable et pomme de pin sous la pluie un mois de juin… »
Je tombe ce matin sur un poème d’ Abdellatif Laâbi dans « l’homme est un accident de la vie sur terre » et cette évocation sonore de la pluie. Le signe avan-coureur d’une nostalgie d’objet …
PLUIE
Pluie…Pluie… pluie !
Avec ces trois mots
ouvrant l’un de ses poèmes
écrit à Bassorah
au milieu du siècle dernier
Badr Chakir-al-Sayab ( 1926-1964)
est passé à la postérité
Mataroun…
Mararoun…
Matar !
(prière de rouler les « r »)
Si vous connaissez
ne pensez plus à taquiner la muse
au sujet de la pluie
Les mots sont déjà pris
La mélodie est irremplaçable
Vous allez devoir vous contenter
de regarder la sarabande muettte
de ces fils irisés
qui relient le ciel à la terre
en murmurant :
Mataroun…
Mataroun…
Matar !
[Abdelllatif Laâbi, La poésie est invincible, « L’homme est un accident sur la terre ». Le castor Astral Poche / Poésie . 2022.
Merci Marie Thérèse non je ne connaissais pas Abdellatif Laâbi . Mataroun … merci
Un signe avant-coureur d’une nostalgie d’objet (erratum)
un décor habité et l’envie vient de rencontrer l’âme qui l’a sécrétée autour d’elle
Tous les détails, le ‘petit’ mis en valeur, et puis les sens en éveil, des couleurs, du son, des odeurs, on touche… Une belle traversée.
Poésie des détails, des noms d’essences, la pluie au ralenti… si belle nostalgie
Brigitte, Annick, Muriel touchée de vos retours . Merci
Tu nous dessines la silhouette à force de parfums et de boîtes cabossées…
petite prouesse …
Merci Françoise.
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O bruit doux de la pluie,… une femme fidèle à son parfum qui garde l’inutile offert, je la vois, elle me plait…