C’est à ce livre que je veux penser il n’en exclut aucun, il ne les contient pas tous loin de là. Il s’adresse à une part de moi: la part recluse.(comment se rassembler quand lire renvoie à cet éclatement du dedans, comme aimer à la folie celui-ci qui crie et se vouer au silence de celui-là). Il me touche comme un poème de peu de mots; aussi parce qu’il s’ouvre dans un paysage. La nature a sa place je crois. C’est elle qui marche dans un paysage comme Lenz dans la montagne mais elle n’a pas de mots ou quelques-uns comme des cailloux. Elle arrive comme la femme de Lumière d’août mais elle n’a pas de quête; c’est un jour comme un autre comme aller au champ et il fait grand soleil. Elle est comme la presque jeune fille au chapeau du tableau peint par Paula Modershon Becker : quelques taches de rousseur sur un tableau. C’est quelqu’un qui arrive et voit un autre visage : avec tout son corps. Elle le rencontre. Elle est séduite puis abandonnée. Juste le temps de mettre au monde l’enfant, de le tuer puis de se tuer. C’est une histoire sèche. C’est une épure. Un poème sans lyrisme : ce n’était rien qu’un peu de chair. Sa figure était comme une boule rouge où il y avait des plis qui étaient les yeux et la bouche, deux trous qui étaient les narines. C’est la trajectoire d’une passion triste. ( la question de l’infanticide et du suicide c’est revenu souvent, ça revient en lisant Duras aussi… et l’autre jour encore en voyant St Omer). C’est celle qui partage avec Antigone de se pendre avec sa ceinture, c’est tout. C’est le taupier qui la trouve, pas un garde de Créon ( Façons tragiques de tuer une femme. Elle aurait dû en toute logique s’ouvrir le ventre; ce n’est pas une vierge qui creuse la terre et dresse le poing : juste une pauvre fille séduite et abandonnée qui se mure dans son silence). Mais tu arrives. Tu remues quelque chose. Tu viens me déranger. Tu fais bouger les pierres. À peine un personnage ou personne : cinq lettres. Un prénom dans un petit cercueil de campagne qui passe. Un peu de poussière rose soufflée sur une page. Presque rien. Comme sa robe presque rien. Comme l’hymen qui se déchire presque-rien l’instant d’une jouissance puis une dévastation silencieuse. Comme passer du corps opaque de l’enfance au corps ébloui d’une première étreinte. Comme un peu de chair fait une tête d’enfant. Comme une branche quand on s’y pend ouvre le chemin de la mort. ( les images de pendus qui me hantent … s’était pendue avec sa ceinture aux branches basses d’un pommier. Comme ses pieds touchaient terre, elle avait dû plier les genoux ; et elle était restée à demi suspendue, adossée au tronc de l’arbre…: ces quelques lignes adoucies). Elle aurait pu devenir servante, elle n’a pas élevé de perroquet. Elle aurait pu être une mère en Lambeaux ou bien cette grand mère qui raconte un conte sur la lune à quelqu’un qui court comme un rasoir ouvert. Tu choisis de te tuer : ta seule consolation dans cette histoire écrite d’avance. C’est un livre comme quelques versets de Bible : un tableau primitif ou la pomme et le caillou se détachent sur un fond simplifié. J’y ai vu aussitôt de la peinture : lui qui écrivait il passait par les yeux. Il venait me chercher avec ses mots : par les yeux. Ses images et son rythme. C’est une écriture laconique qui chante (un peu comme une comptine). Il venait me chercher avec sa rythmique simple. D’elle je me suis sentie proche ni plus ni moins qu’en regardant les mains de la mère sur le tablier bleu du tableau de Cézanne : terriblement proche ; ni plus ni moins que devant les souliers du peintre ou la pomme sur la table quand le peintre la peint avec la montagne tout entière… J’aime penser que c’était juin, qu’il faisait chaud, que je l’ai lu dans la pièce atelier de cette maison de Paris qui plongeait sur un arbre; cette maison qu’il a fallu quitter. J’aime penser que je peux sentir cette maison dans le papier un peu épais du livre. C’était en amont d’un projet de théâtre, en prélude à une scénographie cette ouverture à une œuvre dont je ne savais rien ou presque : « que l’idée naisse de la vision comme l’étincelle du caillou » a-t-il écrit quelque part.
superbe texte. merci.
“j’aime penser que je peux sentir cette maison dans le papier un peu épais du livre“… tant de voyages immobiles et de souvenirs vivants sont contenus entre les pages des livres aimés, oui !!
Merci pour celui-ci Nathalie !
Merci beaucoup de vos passages et retours Françoise et Gwenn
Nathalie, ton texte emporte, le livre qui contient et n’exclut pas… Une inquiétante histoire, des tentations personnelles troublantes, c’est quasi une nouvelle, le prosaïsme de la fin, le but de la lecture nous repose mais … est-ce la fin ? (Je me pose cette question : nous concluons souvent nos textes ici, mais vraiment comment et où continuent-ils ?)
Bonne suite, contente de cette traversée qui s’annonce, de nos lectures qui commencent fort,
Cat
merci de ton retour Catherine . (Nouvelle toujours en quête de ) ce qui se dépose ici revient (pas toujours)
comme quelques versets de Bible : un tableau primitif
tu me donnes envie de suivre ce précepte, un cerf entrevu dans la forêt de Saint Leu.
une biche, trois sangliers, une renarde, des corneilles, un pic noir, un homme hostile, un serpent, une buse variable… une toute petite arche sous la frondaison . merci de la visite Emmanuelle
Très beau texte, âpre et fort. Merci Nathalie
Merci Muriel je viens de découvrir ton Prologue ( très beau)
J’aime penser que je peux sentir cette maison dans le papier un peu épais du livre, ça résonne particulièrement, ce prologue tout entier magnifique, merci !
Merci de tes mots Caroline