Il y a que des choses ne peuvent pas ne pas avoir eu lieu : pour d’autres, on peut encore gloser ou différer l’existence, mais par exemple le déménagement de la villa J2 (Jacko 2) pour emménager début janvier au rez-de-chaussée de chez D. dans une maison sur le bord de la route qui monte au palais puis au lycée; par exemple le départ pour l’aéroport, fin juillet ce matin-là – ou celui de son mari à la fin de l’année précédente – ça ne peut pas ne pas avoir eu lieu – des choses se sont passées sans qu’on les ait vécues ou même en les ayant vécues et se sont évanouies dans une sorte de passé terne et gris – dis-moi, est-ce que les choses se valent toutes, est-ce qu’elles sont toutes équivalentes de même valeur du même poids dans l’âme ou le souvenir ? Quelle envergure veux-tu qu’on leur donne aujourd’hui ? Souvent je me dis qu’il n’est pas besoin de revenir sur ces choses-là, je te l’ai déjà dit, je me dis qu’elles ont eu une vie, elles sont passées et qu’il ne reste plus qu’à n’en plus parler pour enfin parvenir à les oublier, ça va c’est bon maugréé-je mais est-ce que tu crois que c’est pour mieux pardonner ? Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand disait Missak et d’autres que lui, plus tard, le chantaient – on l’a passé par les armes le mari de Meliné, au nom du peuple français – on avance quand même ?
on avance quand même – le type venait lui présenter un projet de livre barbu hirsute menaçant il y parlait de cette guerre, du départ de Tarente et du débarquement à la Croix-Valmer (Cavalaire disent les états de services), elle devait être en train de préparer quelque chose mais je ne sais quoi – ce ne sont pas des souvenirs – des inventions, des interprétations, des errements – mais ça n’a pas pu ne pas se passer et puis après voici mon cœur qui ne bat que pour vous, parfois elle me manque tellement que ça fait mal physiquement, c’est là, quelque part, là, sur la droite, des points douloureux et quand on regarde, si on touche, il n’y a rien, rien d’autre que cette douleur, fulgurante, du manque, irradiante et tenace parfois jusqu’à l’épuisement, puis plus rien elle est partie et s’est épuisée elle s’en est allée plus jamais je ne la reverrai, ce n’est pas de l’oubli, ça ne se gomme pas non plus, ce n’est pas non plus que ça reste comme une espèce de tatouage et que ça puisse s’effacer comme ces décalcomanies qu’il y avait aux chewing-gum, c’est là têtu entêté entêtant une sorte d’impression un pli qu’on ne défroissera jamais, passer repasser et repasser encore sur l’étoffe des souvenirs, la chaleur du fer, rien n’y fera – il ne s’agit que de nous, avec nos machines qui nous restituent leurs images, avec la traîtrise de nos mots, nous qui nous souvenons de leurs voix et même de leurs présences, les faire fonctionner, agir et les donner pour des preuves, oui, ça a vraiment existé la preuve par l’image – on n’y croit plus tu comprends ? c’est surtout à cause de ça, on n’y croit plus – parfois c’est en rêve qu’ils nous apparaissent, elles aussi, eux, elles, viennent vivent vraiment, là, sous nos yeux, elles et ils sont là notre main à couper, là, et nous, nous dormons et c’est en silence que nous les appelons, en silence qu’on leur parle, nos paupières bougent un peu nos yeux de même nous respirons vraiment nous sommes encore là, nos yeux ne voient rien nous sommes là allongés nous ne bougeons plus guère mais eux sont là aussi, surtout, ils sont là, elles sont là et vivent, et parlent, et rient même parfois, invectivent ils sont là, elles aussi – c’est le désespoir qui vient avec notre réveil – des limbes des vagues parements de tulle, au loin évanescentes elles ont disparu, on ne peut pas les retenir, une gaze diaphane les entoure, on se lève évidemment, on marche fatalement on vit nous offrons notre vie même, notre chaleur notre sang est chaud notre peau souple, nos nerfs solides et nos muscles tendus nous regardons et de nos regards oui nous avons nos regards et d’eux, ils se sont déjà enfuis, nos yeux les voient encore pourtant elles sont là, non ne pars pas dit-on en silence, reste là, sans un mot nous sommes debout, non reste encore, vivants, reste, juste un moment – notre raison revient, un verre d’eau, un café, un bout de pain, un ciel qui s’éclaire au bleu, des étoiles qui disparaissent, non, ils et elles non plus, non ils n’y sont plus pour personne – restent quelques photos, au mieux d’eux des enregistrements, des films même peut-être pitoyables et pathétiques souvenirs si vrais, mais rien comme les restes d’un spectacle enfui, les voix des acteurs, et leurs rires, les musiques mêmes, éclairer la nuit, rien une idée de la mémoire qu’il nous reste d’elles et d’eux, mais des choses, rien
et puis tout à coup un parfum de roses
tu reviens sur la disparition, notre disparition…
tout ça a existé ou non ? et qu’est ce qui nous reste ?
si brûlant (pour moi aussi)
enfin je résume peut être un peu vite, je ne sais pas…
et j’ai commencé à sentir ta pensée quand tu écris « parfois elle me manque tellement que ça fait mal physiquement, c’est là, quelque part, là, sur la droite, des points douloureux et quand on regarde, si on touche, il n’y a rien, rien d’autre que cette douleur »
le centre vibrant de ton texte…
merci Piero
et merci pour « on n’y croit plus tu comprends ? c’est surtout à cause de ça, on n’y croit plus »
sauf qu’on y croit un peu, parfois autrement et que c’est mieux
Je n’ai pas lu ton texte mais je me suis arrêtée au titre que j’adore. Je le lirai plus tard mais je me laisse rêver à partir du tout à coup le parfum des roses. A bientôt.