Cette première année sur l’île, en cet après-midi de mai, la surprise de la pluie douce et de l’air tendre en sortant de l’hôpital après les avalanches se déversant du ciel qu’il avait connues. La ville lavée, la végétation aimablement lasse, un avant goût d’automne et son hésitation sur le perron devant la vie nouvelle qui s’ouvre une nouvelle fois, le nouveau départ à prendre.
Cette seconde année sur l’île, roulant sur la route du Littoral, après le déjeuner improvisé dans le bureau de Monsieur Yang, il tente de se persuader, les yeux sur l’océan comme pour y trouver un appui porté par l’idée d’aventure, que sa décision a été la bonne et sourie avec ironie en s’imaginant entrant parmi les notables de la Chambre de commerce ou similaire | son ignorance étant sans limite, ce qui rend la chose encore plus aventureuse, même si, étant si peu, il ne risque pas grand chose, fors ce petit héritage dont ne voulait pas.
Cette troisième année sur l’île, dans le grand hangar, laissant se refroidir sur un plateau au bout de la longue table les samoussas de pomme de terre et le gratin chouchou que Jean-Pierre « le concierge » a tenu à lui amener, il vérifie les comptes de stocks avec juste ce qu’il faut d’attention et la part de rêverie fantaisiste qui lui est nécessaire, certain qu’il est que les comptes son exacts.
Cette quatrième année sur l’île, en compagnie de Monsieur Yang il va d’un ballot à un autre, il revient tâter les échantillons, les tirer, les froisser, les caresser, les soumettre à la lumière, il sourit au représentant de l’importateur, il approuve, il tente de masquer l’intensité du plaisir qu’il éprouve.
Cette cinquième année sur l’île, sur la terrasse, un verre oublié en main, il regarde dans le jardin son ami Yang parader et faire parader son jeune compagnon Guy, il tente de se réjouir, il se demande ce qu’il y a de sincère dans ce tableau et puis il voit la jeune fille grimper la rampe, il voit ses yeux perdus, il s’avance pour la protéger.
Cette sixième année sur l’île, il s’ennuie dans son jardin, prié de se reposer, convalescent qu’il est de ce qui, le docteur l’a confirmé, n’était qu’une sale petite grippe négligée, et il sourit en voyant sortir de la maison Clarisse, sa jeune amie, un livre en main.
Cette septième année sur l’île, Clarisse a fini par le persuader de venir voir le travail de Mehdi Arthemise. Une petite maison rue Bertin, qu’il louait à Monsieur Yang, « il a de la chance, il l’a choisie et Monsieur Yang l’a achetée », petite tache ancienne dans le quartier, un rez-de-chaussée ouvrant sur une cour longeant la rue, un garage en épi « pour sa moto et ses matériaux ». Ils ont sonné à la petite porte à gauche, sont entrés sans attendre de réponse. Clarisse, lui suivant, s’est dirigée vers les deux dernières porte-fenêtres. Elle a toqué sur un carreau et le garçon, penché sur un désordre de plantes, pierres, cordes posé sur une planche a levé la tête vers eux en souriant. Les a salués, a fait un vague geste de la main pour qu’il regarde lui, Bertrand, est resté immobile, jetant de brefs regards pour lire dans ses yeux ses impressions pendant que Clarisse montrait, dessinait de sa main dans l’air les qualités qu’elle voulait lui faire découvrir, commentait, souriait entre assurance et timidité.