Alors comme je le disais, le renard avait disparu aussitôt après être apparu, un éclair roux, et aussitôt deux pièces d’or à la place des yeux. Il n’avait jamais vu de renard. A l’école on leur lisait le roman de Renart, il avait donc retenu que l’animal était futé, mais celui-là pas tant puisque toujours enchainé. Alors il a demandé à Titi et Pierrot, les jumeaux, s’il pouvait le revoir et ils ont rouvert la porte de la cour, il a entendu racler la chaîne et la lumière est venue frapper l’emplacement du renard, mais de renard point, il s’est caché a expliqué Titi dont les yeux arc-en-ciel s’étaient pris dans le faisceau de lumière et brillaient comme deux belles opales, Pierrot placé dans l’ombre de son frère avait les mêmes yeux, mais plus petits, toute la fratrie avait des yeux arc-en-ciel, et sa mère n’en finissait pas d’épiloguer sur ces yeux magnifiques et que dommage tous tellement crasseux, et la misère de cette famille, et ces yeux comme un don ironique du ciel dont ils ne pouvaient pas vraiment tirer parti, coincés ici dans leur maison écroulée, dormant à neuf dans la même pièce, rejetés par tout le village, tout ça parce que le père… et peut-être aussi la mère…( il apprenait les choses par bribes). Lui, ce qu’il savait c’est qu’il aimait Titi et Pierrot comme des frères, des petits frères dorés au genoux bruns et balafrés à force de trainer dehors nageant dans leur short en nylon qui leur faisait comme des jupettes. Comme je l’ai dit, Titi avait les yeux très grands, des yeux arc en ciel comme je l’ai dit, et cela donnait à son regard une intensité particulière, qu’on retrouvait chez leur sœur Marcelle qui avait aussi des yeux arc-en-ciel, comme tous les enfants de la fratrie, des yeux qui illuminaient son visage hâlé, sous sa mise en plis un peu lâche quand elle venait les rejoindre sur leur pas de porte, les bras croisés sur sa simple blouse, (elle était nue sous sa blouse) en appui sur une seule jambe, et d’une beauté ahurissante, elle avait une fossette au menton bien creusée dont il était obsédé, fantasmant sans cesse d’y poser son doigt, tout chez elle était ralenti, et il ne la lâchait pas des yeux du haut de ses dix ans, même si son parler lourd jurait avec sa beauté et ses goûts simples, que même lui du haut de ses dix ans méprisait, parce que déjà l’idée de ce qu’était le bon gout lui avait été inoculé mais il se laissait captiver quand elle confessait sa passion pour Mike Brandt et Sheila et les romans-photos qu’elle appelait les livres qu’elle refilait à sa sœur en cachette de leur père qui les dévorait tout en les jugeant archi nuls, mais certains selon elle, «étaient quand même pas si nuls » enfin comme je le disais elle les dévorait, elle était dans une sorte d’amitié avec Marcelle, comme lui avec Titi et Pierrot qui étaient bien plus petits que lui alors que sa sœur et Marcelle avait quasiment le même âge. Et le trafic de romans-photos allait bon train. Mais comme je l’ai peut-être déjà dit, ils étaient neuf, la mère, les deux filles ainées, Hélène qui était déjà mariée et Suzanne en instance de l’être, toutes deux fort jolies et armées des mêmes yeux (que la mère n’avait d’ailleurs pas), et puis Marcelle et encore quatre gars dont Lucien qui avait son âge mais qu’il ne pouvait pas voir parce qu’il se permettait des plaisanteries salaces sur sa sœur et le bébé d’Hélène dont tout le monde s’occupait plus ou moins bien que ses couches n’étaient pas souvent changées. L’ainé des gars s’appelait Daniel, c’était une gentille brute qui leur préparait de grosses tartines avec du chocolat à croquer, délice incomparable interdit à la maison. Toute cette tribu également rejetée par tout le village sauf par Anis qui avait une réputation de voyou et sillonnait le village sur sa mobylette bleu débridée du matin au soir, mais eux, sa sœur et lui, n’avait jamais vu Anis faire le moindre mal, du bruit oui, mais pas de mal, et à vrai dire, il avait beaucoup d’humour et faisait bien rire les filles, Anis, mais il était « adopté » , faute impardonnable, et bien que ses parents adoptifs fussent appréciés de tous, le village n’avait jamais pu adopter Anis. Tous ces bannis que personne n’avait le courage de cadenasser se répandait bruyamment dans le village, y faisait régner leur loi, et les avait fort bien accueillis, lui et sa sœur, les parisiens, et en conséquence, comme on peut s’en douter, personne d’autre ne voulait les fréquenter, eux non plus.
» à force de trainer dehors nageant dans leur short en nylon qui leur faisait comme des jupettes », j’adore…
images fortes des frères et puis toujours l’éclair du renard au début, et toute cette ambiance excitée avec ces personnages de garçons qui reniflent les filles
une misère de famille…
oh la la… superbe !
Grand merci Françoise, c’est un peu pour te faire plaisir que j’ai remis le renard et il me fallait bien me sortir du piège où je m’étais prise et
finalement j’aime bien aussi 😉 merci à toi donc
Mais comme on a déjà tout un début de roman, ces personnages si attachants, tellement vrais… La notion de rejet est plantée, sans qu’on ne connaisse la cause, ça intrigue et on voudrait en avoir davantage. Vraiment beau et fort. Et tout de même je me suis dispensée de la 03, mais tu l’as drôlement bien réussie, ça fonctionne super bien, à me donner des regrets. Merci, Catherine.
Oui. sans m’en rendre compte tout de suite je suis revenue à, une histoire amorcée et abandonnée en 2018, on verra si cette fois-ci… mais rien ne t’empêche de plonger dans la 3 si le coeur t’en dit!
Oui, ces histoires amorcées, soudain renaissent et pour de bon ! En tout cas, celle-ci commence dans un tourbillon de couleurs et de mouvement qui est comme un vertige ! Quel rythme ! Merci, Catherine !
Des personnages bien trempés, une tribu très vivante et ces yeux arc-en-ciel ! je vais lire la 3bis