Il fallait s’y attendre. Repartir comme tu étais venue. Mais seule cette fois. Avec l’impression de n’être pas au bon endroit. Not a place to be. A cause du chemin de halage : les péniches n’avaient plus besoin de lui. Il était devenu piste cyclable, on avait ôté de lui les accidents de parcours, la trace lourde des sabots tout du long, l’accompagnement des bateaux, la promenade du week-end ayant pris le pas sur tout le reste. Berges aménagées, écluses utiles quand même, et toujours photographiées : que demande le peuple ? Et toi, assise sur le petit ponton, les pieds abîmés, cherchant un peu de guérison dans l’eau passante, ton sac à dos dérisoire à côté de toi, tu regardes les rares péniches « pleines à ras bord de nostalgie », comme tu l’as écrit dans ta chanson enregistrée par l’ami disparu – c’est toujours ça de pris, que la mort n’aura pas. Allez, on remballe. On quitte le chemin de halage. Tu jetterais bien dans l’eau ton sac à dos : il ne faut pas exagérer. Il est lourd mais tu en auras besoin comme chaque fois, quand les chemins bifurquent. Elle apaise le regard, l’eau douce que tu longes encore un peu avant de la quitter. Elle a la couleur indécise des derniers regards portés. Peut-être celle de l’ancêtre échevin au nez en pied de marmite, celui qui collectionnait les faits et gestes inscrits dans sa ville du nord, comme faisait le comte avec ses plats. Mais ce n’est pas le moment d’emprunter ce chemin-là. Les promeneurs s’installent sur la berge pour pique-niquer, et toi, tu dois y aller. Tu leur souhaites bon appétit. Tu penses au cousin du marais qui écoutait en boucle une chanson, tombée depuis dans les oubliettes : la route m’appelle et m’attire. Reste à s’éloigner du chemin de halage. Sans tarder : la nuit tombe vite.