Odette est face à la fenêtre. Elle s’accroche au col de son manteau pendant que Dinah prépare le café dans une antiquité italienne. Les mouvements sont lents et précis. De temps à autre, elle suspend ses gestes. Elle pose le réservoir de l’antique cafetière, elle remplit d’eau sur le bord de l’évier. La cuillère de café moulu reste immobile un instant, puis descend lentement vers l’élément central de la cafetière. Dinah pose la cafetière sur le feu, puis elle s’assoit à la table de cuisine. Ses genoux sont douloureux, sa marche s’accompagne d’un bruit de savate qu’elle déteste.
Dinah parle, questionne. Odette ne répond pas, accrochée au col de son manteau, elle fixe un point imaginaire. Leur appartement étant voisin, les deux amies ont une vue similaire sur la ville. Elles voient le ciel presque jusqu’à l’horizon. Odette a l’esprit ailleurs.
À l’est, la tour Montparnasse est noire, elle se détache au milieu du ciel sombre et tourmenté. Le jour semble ne pas vouloir se lever complètement. Odette distingue dans un océan de zinc et d’ardoise surplombant des façades de pierre et de brique qui abritent de petits appartements au parquet de chêne. Un peu sur la gauche, au milieu des toits gris, la tour Eiffel se démarque, inflexible et raide.
Au nord, au milieu de la grisaille, dans les appartements chics des tours du quartier Beaugrenelle, des lumières s’allument. Sur la gauche, Odette distingue le haut de la Tour aux figures de Dubuffet plantée sur une butte de l’île Saint-Germain.
À l’ouest, Odette jette un regard vers le bois de Meudon. Ce bois sombre lui rappelle un souvenir qu’elle ne parvient pas à effacer malgré les années. Elle voudrait perdre la mémoire.
Le vent souffle fort, la grille d’aération émet un léger sifflement. Les arbres dénudés de l’île Saint-Germain et du bois de Meudon balancent leurs ramures désolées d’un côté puis de l’autre.
Odette soupire, puis s’assoit à la table de cuisine avec Dinah. Chacune est devant sa tasse de porcelaine. Sans un mot, Dinah jette une sucrette dans sa tasse, elle met la boîte à sucre de métal au milieu de la table. Odette prend un sucre qu’elle casse en deux. Le bruit de la petite cuillère qui se cogne contre la porcelaine en tournant le café fait la conversation. Au-dessus d’elles, l’orage gronde, prêt à lâcher des trombes d’eau sur Paris.
Beaucoup aimé ce beau texte dense, cette tension sous-jacente.
Merci Muriel, « heureuse » que la tension soit passée.