Je ne sais pas ce que lit Martha l’adjointe à la culture. La bibliothèque, c’est aussi son domaine, même si elle a une préférence pour le spectacle vivant et les hauts talons, mais ça je l’ai déjà dit. Pour son administratif qui vient un peu plus qu’elle, je sais en partie. Quand je le lui ai demandé récemment, il était dans la relecture de tout Kundera. Il ne s’attarde jamais, tend sa carte, va dans les rayons, prend un livre et repart. Je pense qu’il achète des livres (je n’ai pas tout Kundera) ou qu’il ment. Je ne sais pas ce qu’il faut en penser.
Martha, elle, a demandé la création d’un fonds du patrimoine et matrimoine régional. Incontestablement, elle a des éléments de langage. C’est sur une enveloppe dédiée heureusement, car j’ai eu peur que les livres ne sortent pas et amputent inutilement le budget d’acquisition (2€ par habitant). Il faut en plus trouver la place et l’argent pour une étagère supplémentaire, sinon c’est sûr ça ne sortira pas. On a trouvé des livres pour les jeunes et des BD, à mettre à côté des grands patrons du Second empire Lyon et les lyonnais de Pierre Cayez et d’un mariage à Lyon de Stéphan Zweig (plus personne à Lissieu ne sait que la Convention a fait le siège de Lyon en 1793) et de bien d’autres gros ouvrages un peu rébarbatifs, mais chers et illustrés sur la soie, l’automobile… etc. Je n’ai pas osé ajouter les ouvrages de Mérindol, le grand reporter du Progrès de Lyon : Lyon, le sang et l’argent, Lyon, le sang et l’encre. Très contesté, celui qui a couvert le procès de Klaus Barbie, et puis qui n’hésite pas à parler d’affaires dont les descendants sont encore à Lissieu et même au conseil municipal. Je sais bien que la littérature ne fait plus bouger le monde, en revanche les procès en diffamation vont toujours bon train. Pour sûr que ceux-là, ils se seraient passés de main en main pour m’accuser d’être partiale dans mes choix.
Savoir ce que lisent les gens, je m’aperçois que c’est très indiscret. Les prêts et les retours disent beaucoup. Je m’efforce désormais de mettre à distance le portrait qu’ils dessinent de mes clients. J’achète ce qu’on demande et qui sort beaucoup. Mon prédécesseur organisait des soirées lectures thématiques autour d’auteurs classiques et contemporains. Il ne craignait pas d’avoir en rayon des ouvrages de Cheyne éditeur. Je me contente de faire l’heure du conte pour les petits. Son contrat n’a pas été renouvelé au motif qu’il en faisait trop. Moi je suis fonctionnaire, pas de risque, juste celui du placard, sauf que la commune n’est pas assez riche pour se le permettre.
Revenons au mystère de ce que lit Martha. Elle ne lit pas beaucoup et n’en parle jamais au moment du retour. Elle a pris un Annie Ernaux au moment du Prix Nobel et puis Melissa da Costa et Guillaume Musso l’an dernier. L’usure du monde de François Henri Deserable et Humus de Gaspard Kœnig qui venaient de rentrer. Je lui ai rappelé que pour les nouveautés, elle n’avait droit qu’à un seul et trois semaines seulement. Je pense qu’elle est abonnée à Télérama.
Merci pour ce texte. Ce texte, c’est une sorte de fresque. Une suite de portraits à travers des livres.
Merci Jad, ça me touche.
« Savoir ce que lisent les gens, je m’aperçois que c’est très indiscret. Les prêts et les retours disent beaucoup. Je m’efforce désormais de mettre à distance le portrait qu’ils dessinent de mes clients. J’achète ce qu’on demande et qui sort beaucoup. Mon prédécesseur organisait des soirées lectures thématiques autour d’auteurs classiques et contemporains. Il ne craignait pas d’avoir en rayon des ouvrages de Cheyne éditeur. »
Je partage l’idée de la prelière phrase et ce qui suit me parle aussi. C’est une remarque à développer pour comprendre ce qui se joue dans la lecture individuelle qui n’a pas vraiment de comptes à rendre. On n’est plus à l’école. Mais voir passer des livres sur le guichet d’emprunt, c’est comme regarder le contenu d’un caddie au supermarché. Curiosité de constater ce que l’autre consomme, nourriture de toute sorte qui esquisse le portrait d’un personnage qui nous paraît plus ou moins familier. Est-ce une indiscrétion ou une envie de comprendre le monde autour qui dicte le regard par dessus l’épaule à l’insu du personnage ? Mais je ne suis pas loin de penser qu’il s’agit d’une attention sans destinataire, à moins d’aborder la personne à ce moment précis. Bien sûr on se l’autorise de temps en temps mais en Bibliothèque on observe plutôt l’effet tapis roulant Mario Bros. Comment entre-t-on dans les lectures des gens ? Martha n’a pas d’affinités visibles avec les livres mais elle reste sympathique dans sa fonction de passeuse ( de codes barres ?). Elle ne ressemble pas du tout à ma Mathilde qui est restée de l’autre côté du guichet, version butineuse… Merci pour ce texte vivant et qui m’inspire. Les références Lyonnaises y sont en partie pour quelque chose. L’abonnement à Télérama m’a fait sourire.
Merci Marie Thèrèse. C’est très lyonnais effectivement.