C’était l’année avant de quitter la banlieue parisienne. Nous avions fait notre quota, une décennie de va-et-vient du métro au boulot, et nous n’étions pas encore résignés au triptyque qu’ils composent avec le dodo.
Mais avant que je vous parle de ce retour en terre natale, il faut que je vous parle de notre quotidien pendant ces années. L’enthousiasme de la capitale, l’exaltation de vivre où tout se passe, le simple bonheur d’être au centre du mouvement qui ne s’arrête jamais. Oui, la joie de savoir qu’il suffit de passer la porte de son appartement pour se mêler à l’effervescence. Souvent simplement s’attabler à la terrasse du café bohème face à la bouche de métro Edgar Quinet et savourer le remplacement progressif des habitants du quartier rentrant du boulot par les banlieusards épuisés mais heureux de faire ce soir-là la seule sortie au théâtre du trimestre. Et se réjouir que, pour nous, le théâtre c’est quand on veut. Faire un détour en rentrant le soir devant la billetterie et se laisser guider simplement par le choix restant, se confier au hasard pour s’ouvrir l’esprit.
Mais avant que je vous parle de la lente montée de l’écœurement face à cette frénésie sans fin. Il faut que je vous parle des petits renoncements destinés à profiter de ce rêve des lumières de la cité. Ces infimes décisions sans grandes conséquences individuelles – avons-nous réellement besoin d’une baignoire ? une douche suffira – mais dont l’accumulation rogne sur les conditions même du choix initial et le remet en cause. Et, en conséquence, ces cercles de plus en plus grands tracés sur le plan de la RATP pour concilier toutes les facettes qui constituaient notre vie.
Mais avant que je vous parle de l’allongement progressif de la distance entre le logement et le travail, c’est surtout de l’éloignement progressif du lieu de vie matérielle avec le lieu de vie de l’esprit dont je voudrais parler. C’est le soir, où courant en s’abritant de la pluie avec son attaché-case pour attraper le RER B à La croix de Berny et ne pas rater le début de la pièce de café-théâtre, réservée via le comité d’entreprise depuis six mois, sans avoir le temps de passer par son logement de Massy-Palaiseau, c’est le soir où une annonce faite au haut-parleur d’un accident de voyageur provoquant un retard probable de quelques minutes pour tous les trains en circulation vous stoppe dans votre élan. C’est donc ce soir là que vous voyez ce que vous allez devenir : un banlieusard épuisé sortant de la bouche du métro Edgar Quinet.