Lorsque la maîtresse posait une question elle levait le doigt, le dos bien droit. Elle tressautait d’impatience sur sa chaise avec son coude gauche appuyé sur le pupitre et sa main gauche soutenant son bras droit, elle le tendait bien haut en l’air. L’index dressé et les reste de la main serré en poing. Le visage sérieux, les yeux grands ouverts, la bouche articulant silencieusement moi, maîtresse, moi je sais. Les fenêtres des baraquements de l’école permettaient d’observer la classe depuis les étages de l’immeuble en face. Lorsque l’école a été terminée et les enfants déménagés, il n’était plus possible de suivre ces séances quotidiennes de cinéma muet. Elle en était un personnage actif, elle voulait toujours répondre aux interrogations et poser des questions. Le matin, elle courait sur le chemin reliant l’immeuble et l’école. Puis revenait à toutes jambes vers sa mère pour lui dire au revoir et repartait tout aussi vite sans un regard en arrière avant de franchir le portail. Pendant les récréations, quand elle n’était pas suspendue la tête en bas dans la cage aux écureuils, elle jouait à chat, à la marelle, parfois, très rarement car ce n’était pas un jeu de fille, à la bagarre. Elle préférait courir. Quand l’épidémie annuelle de parasites capillaires se déclara elle fit partie des premières victimes et demanda à sa mère des couper ses nattes que les garçons attrapaient trop facilement. Elle devint alors imbattable à chat perché.
La mission est simple : acheter deux baguettes pas trop cuites.
Sa frange dépasse sur ses yeux. Ce qui ne la gène pas car elle fixe le sol. Ses épaules suivent le mouvement, elle se voute. Pour l’instant, elle laisse pendre ses bras qui se balancent au rythme de ses pas lents. Devant la boulangerie, elle se place tout au bout de la queue, laisse passer la femme qui est arrivée juste après elle et qui se comporte comme si elle était déjà là avant. Elle ne sait plus quoi faire de ses bras, croise ses mains devant, puis derrière. Elle essaye aussi la posture décontractée qu’elle a vu dans le livre que lui a offert sa grand-mère « J’ai quinze ans », la bible de l’adolescente. La posture consiste à laisser le bras droit sur le côté et à entourer le coude avec la main gauche. Après quelques instants, elle inverse avec la main droite et le bras gauche. La file avance doucement, c’est son tour. Elle a préparé sa phrase pendant les essais de postures bonjour Madame, je voudrais deux baguettes pas trop cuites s’il vous plait. Elle tousse discrètement pour se racler la gorge et se lance bonjour Madame … La phrase est trop longue pour sa capacité sonore et se termine dans un murmure alors que sur son visage la rougeur progresse du cou vers le front.
Au début pourtant, elle savait parler à voix haute.
intéressant basculement de l’enfance à l’adolescence qui nous donne envie de restituer le corps de l’adolescent, ses malaises, ses gênes et parfois son aisance bizarre, belle idée
Merci Marion pour ta lecture et ton commentaire.
Bravo, je comprends à la fin du texte que cette jeune fille devient sourde, peut-être que je lis mal, les attitudes de l’enfant dan la cour d’école et la difficulté à être en publique de l’adolescente sont très bien rendus. Merci.
Merci Laurent pour ta lecture et ton commentaire. à la fin du texte, elle est murmur-ette… si on jouait à langage-tangage ce serait une maladie qui frappe les futurs adultes entre 14 et 18 ans et qui fait que, face à un mur de public inconnu, la voix s’éteint involontairement. Et si mes souvenirs sont exacts les sons aussi parviennent alors un peu plus difficilement.
texte qui me touche et qui parle bien du passage à l’enfance et ses audaces à l’adolescence et des difficultés, la voix qui baisse, le rouge aux joues.
merci Françoise pour ta visite, ce passage est parfois si long à traverser. Les livres sont aussi faits pour l’accompagner.