Avant les livres, il y avait le livre de lectures suivies, avec des pages choisies d’auteurs de qualité, ou qui écrivaient avec compréhension pour que de jeunes têtes, pas encore très bien formées, et ne maîtrisant pas toutes les subtilités de langue, puissent progresser dans le chemin de lecture et affiner leurs capacités à lire des textes de plus en plus difficiles. Il arrivait parfois que des textes donnaient ainsi l’occasion à ce que ces jeunes têtes se mettent à rêver en lisant ces passages sortis de nulle part et qui les transportaient dans des mondes imaginaires où ils auraient volontiers établi leur demeure. Ce livre Pages choisies et lecture suivie où se rattachent mes pensées était un ouvrage passé déjà en de nombreuses mains d’enfants de neuvième (qui correspondait au CE2), les plus récentes ayant été celles de mon frère. Ce livre était donc fatigué, tâché, froissé, et lourd de tant d’histoires juste ébauchées, qui ne pouvaient donner à voir qu’un paysage étroit mais cela suffisait parfois à donner ces ailes nécessaires pour s’envoler. Mon livre de cette année-là, à la couverture cartonnée un peu abîmée, offrait déjà la sensation de l’évasion avec deux arbres qui encadraient un sentier filant je ne sais où. Je me souviens bien qu’à la fin de l’année il s’ouvrait tout seul sur l’extrait lu et relu tant de fois, et que je pouvais le lire les yeux fermés, le doigt faisant semblant de suivre la trace laissée par les mots. Je revois même la disposition de la classe où je me tenais à l’époque, avec ses bureaux se touchant tous sur trois rangées et la difficulté pour la maîtresse de circuler entre nous pour venir nous aider lors d’une difficulté ; les fenêtres dont j’étais assez éloignée n’apportaient que très peu de lumière, mais je la trouvais dans ce livre que je triturais comme un talisman. Mon passage favori, connu par cœur, déclenchait mes rêveries dans le monde imaginaire, nécessaire et salvateur. Tout allait bien. Ce livre, je sais que je l’ai toujours mais ne l’ai pas retrouvé pour le feuilleter : la maison est grande et les livres sont dispersés un peu partout. Mais j’ai déniché il y a quelques années un livre d’occasion chez un bouquiniste, le prix de quatre euros est écrit au crayon sur la première page, de cet auteur reconnu des années cinquante, et dont on ne parle plus guère aujourd’hui, livre paru en 1926 et proposé sur un papier jauni, dont les premières pages se détachent et seraient prêtes à disparaître sans un peu d’attention. Et ce sont justement celles-ci qui m’intéressent, puisque c’est une partie de ce prologue du livre écrit là, en italique, qui était ce que je recherchais. Lors de l’achat, j’ai donc lu les 6 pages de ce prologue, ravie de retrouver les mots qui m’avaient emportée, et retrouvant de fait la petite fille que j’étais en un claquement de doigts.L’enfant que nous avons été continue de marcher invisible à notre côté. Cette phrase prononcée par Pierre Bergounioux dans une émission de radio me rejoint alors que j’écris ces lignes. J’ai donc lu les six premières pages de ce livre qui en contient 224. Mais comment dire…, le livre se tient toujours sur le rayonnage des livres en attente de lecture, et cela fait sans doute presque vingt ans maintenant qu’il est là, écrit sur ce papier jauni, à l’odeur toujours aussi caractéristique des vieux livres enfermés dans des pièces non aérées. J’ai relu plusieurs fois les pages du prologue mais n’ai jamais pu aller plus loin. Je n’ai même jamais voulu savoir la teneur du roman. Sûre par avance que cela ne pourrait être à la hauteur des songes que les deux pages dans mon livre de Pages choisies m’avaient ouvertes d’un imaginaire où je me réfugie encore. Et je me plais à croire que ma passion d’écriture est née là entre les pages de ce recueil lorsque j’avais sept ou huit ans…
Le livre dans le livre dans le livre dans le livre, on voudrait continuer ainsi, entre le fourmillement des détails d’enfance et l’extrait du livre phare porteur de rêves, avec vous on oscille entre cet état de réminiscence et de projection dans le texte lu, le désir de continuer est fort, l’appel en avant du texte… Bonne suite,
Cat
le livre mythique (les 6 pages qui le tiennent bien droit et le reste si large) 🙂