#été2023 #lire&dire | Lire les autres

Lapsus, acte manqué, un exercice semble m’avoir totalement échappé parmi ceux de ces derniers jours : lire les autres. Je ne retrouve pas la proposition dans le foisonnement. Quelle part de moi ne désire pas la retrouver, la responsabilité me tanne comme toujours.

Le sentiment de ne jamais assez ou assez bien lire ce qu’écrivent les autres remonte bien sûr à l’enfance, aux fameux: tu ne vois rien, tu es bouché à l’émeri, quel idiot il n’a pas vu, toutes ces petites phrases qui viennent spontanément à la bouche de nos proches pour tenter de nous indiquer un chemin qu’on ne saurait voir tout seul. De là sans doute une acuité encore plus grande à lire les autres justement, pas seulement à ce qu’ils veulent bien montrer à lire, mais tout jusqu’à la moindre poussière de silence entre leurs mots. Lire les autres, les écrivains, les autres écrivains, c’était un peu comme un resto du cœur je crois. J’ai beaucoup lu dans les bibliothèques ce qui pouvait me tomber sous la main. Et ma bonne volonté dans ce domaine était sans borne. bon public, bonne volonté. Et puis les choses se sont gâtées peu à peu. J’ai beaucoup lu les autres entre 4 et 10 ans, des légendes et des contes principalement et qu’ils proviennent de la famille ou d’Andersen ne faisait je crois pas beaucoup de différence. De 10 à 30 ans j’ai beaucoup lu les autres pour comprendre les mécanismes de la fiction, tout en ne sachant pas ceux de la réalité, ce qui est paradoxal, je vous l’accorde. J’ai lu par boulimie parce que surtout je me sens toujours très ignorant ou décalé des us et coutumes habituels. Mais je ne suis plus à un paradoxe près. De 30 à 40 ans je n’ai presque rien lu d’autre que des essais ou bien des pancartes signalétiques pour essayer de me repérer dans la confusion des villes, d’un monde toujours en « plein bouleversement ». De 40 à 50 pas grand chose à part des factures, des relances ( beaucoup) des avis d’huissiers, des avis de décès, des testaments sur lesquels mon nom était absent. De 50 à 55 j’ai commencé à me languir de lectures plus saines, plus roboratives, j’ai lu des philosophes, des poètes, et j’ai trouvé que les poètes, plus économes en mots m’étaient plus sympathiques et aussi autre chose, peut-être justes, dans leur ton comme dans leurs propos. Enfin vers 60 les choses se tassent. Je lis uniquement par plaisir, pour rencontrer des textes plus que des auteurs je crois. Je ne me laisse plus berner comme autrefois par les biographies. C’est d’ailleurs je crois pourquoi je ris tout seul de mes écrits biographiques la plupart du temps. Lire les autres c’est aussi pour moi une façon d’être dans un stade, assister à un match de boxe, c’est voir jusqu’où un sportif peut aller sans se retrouver au tapis. C’est un truc de gosse je crois, de gosse qu’on a toujours rabroué quand on lui filait des basquettes et qu’ensuite on ajoutait, tu ne sors pas d’ici. Lire les autres je n’arrive plus à le faire encore comme je sens que pourrais très bien y parvenir, peut-être vers 70 ans. Avec plus de compassion, plus de tendresse, plus de justesse encore que je ne le fais à présent. Mais chaque chose en son temps comme on dit. Après je crois que vers 75 je pourrai enfin me mettre à écrire des choses dignes de ce nom. Des choses que j’aurais envie de présenter aux autres, en retour de tout ce qu’ils m’ont tant donné, même si parfois je me dis que c’est peu, que j’aurais pu faire plus d’effort pour lire plus et mieux. Enfin on ne refait pas sa vie, c’est comme ça disent les vieux. C’est ce qui est dur à lire ce genre de chose. On les lit et tout part de travers. En fait ce n’est pas si grave de découvrir que les choses sont comme elles sont et que notre vie est ce qu’elle est. C’est une question de relecture.

A propos de Patrick B.

https://ledibbouk.net ( en chantier perpétuel)

6 commentaires à propos de “#été2023 #lire&dire | Lire les autres”

  1. c’est beau ce chemin de lecture en décennies. Beau et dur. ( la proposition n’existe pas . Juste un titre: lirelesautres ) .

  2. Découvrir ton texte ce matin, comme une parenthèse, comme une quête de raison à lire encore et encore les autres
    j’ai retenu : « Avec plus de compassion, plus de tendresse, plus de justesse encore que je ne le fais à présent. », c’est cela… de quel point de vue on lit et avec quel cœur…
    merci Patrick pour ce beau texte

    • Merci Françoise Renaud, pour être complètement honnête il faut aussi dire que c’est affaire d’énergie, de disponibilité et que ce n’est pas toujours constant. Bon dimanche