L’histoire, Jeanne l’écrit une première fois, dans le silence angoissant d’après -midis trop longues. Une histoire avec queue et tête. Une scène capitale rédigée dans le noir, comme dans une transe. Un vertige, une tension intérieure. L’impression que quelque chose se passe. Que les idées se mettent en place. Ecrire ces mots venus de loin lui tire même des larmes. Cà doit être çà écrire. Devenir écrivain. Elle se regarde dans le miroir, rien n’a changé à l’extérieur. Toujours les mêmes grands yeux inquiets, à l’idée de laisser voir son en-dedans, ses failles et ses blessures internes. Rien n’a changé …peut-être a-t-elle davantage de cernes sous les yeux, car tac-tac…tac-tac-tac…même lorsque ses doigts ne courent pas sur le clavier à toute allure, elle écrit encore. L’écriture, presqu’une confession ininterrompue, l’habite tellement. Jusqu’au point… final. Point final ?
Cette histoire à laquelle elle voudrait des jambes immenses, des tentacules, des ailes, cette voix qu’elle voudrait audible n’est qu’un murmure…et la douleur dans le bas-ventre est toujours là. Présente, pressante, pesante. Les pages imprimées avec fébrilité, reliées avec fierté, appelées avec arrogance MON roman…ne sont qu’une créature difforme, trop maquillée, hypertrophiée, qui dans son propre miroir se voit belle.
Jeanne efface son récit à contrecoeur. Et réécrit par-dessus …creuse profond, gratte jusqu’à sang parfois, écorche les émotions, pose des mots pas beaux, cesse de se raconter des histoires…se perd, s’abandonne à ce sentiment. Quand elle se regarde dans le miroir, elle se sourit maintenant. Elle laisse venir à elle sa vérité dans le silence apaisé, la lenteur et une forme d’acceptation de ce qui est.