Marion se repose jambes tendues devant elle sur les tomettes mains sur les chevilles menton niché entre les genoux… elle redresse son buste.. ses reins hurlent… elle reste ainsi un moment… ces exercices stupides… elle se demande si les distances de temps et de lieux lui permettent maintenant d’écrire… pour elle au moins | mais elle sait bien que cela risque de ne pas lui suffire |… les yeux sur le mur juste à côté du bord de la commode, elle se souvient… elle se souvient de sa première visite sa curiosité et son inquiétude vague le perron trop large pour la porte les lourds panneaux de bois qu’il convenait de pousser sans sonner la longue galerie obscure sa main tâtonnante et faisant tomber un chapeau avant de trouver comment éclairer la pièce pour avancer jusqu’à la double porte du bout en passant devant l’extravagant cadre et l’image brouillée qui était tout ce qu’elle avait distingué du collage la découverte lumineuse de la grande pièce et cette silhouette d’homme regardant le jardin… elle se souvient du récit de Daniel de l’idée tressée en elle en écoutant la haute et mince stature avançant dans une rue anonyme de Valence en refaisant le monde ou jouant à massacrer l’espagnol avec son compagnon… elle se souvient de la présence solide épaules larges immobilité souple et ferme de ce grand corps sur une terrasse au dessus d’une fête qu’avait fait naître Marie-Jeanne brodant sur les quelques mots de son frère résumant le peu que lui avait raconté son ami ce Bertrand alors mystérieux… elle se souvient des épaules penchées sur un plan qu’elle griffonnait comme pouvait sur ses indications… elle se souvient des quelques vers d’un poème de Clarisse où le réconfort vient de la protection de ce dos apparemment indifférent… et revient toujours encore et encore comme ponctuation le souvenir du crâne blanc tracé comme le jupon jaune d’une sainte comme le mérou avalant un lac au cœur d’une corbeille d’arbres comme les autres fragments d’images recouvrant la haute silhouette noire dessinée au fusain avant l’évidence dans la pièce claire ensuite du grand corps jambes un peu écartées épaules larges tête ronde en contre-jour devant le jardin… les yeux au plafond elle pense à tout ce qu’elle ignore qu’elle doit inventer qui obligent à tant de transformations que plus rien ne restera sauf peut-être ce dos.
« et revient toujours encore et encore comme ponctuation le souvenir du crâne blanc tracé comme le jupon jaune d’une sainte comme le mérou avalant un lac au cœur d’une corbeille d’arbres comme les autres fragments d’images » c’est magnifique
(une écriture par flashs, comme on se repère dans la nuit)
oh grand merci pour cet encouragement Christine