La trappe
Il faut imaginer une maison de montagne, un sol constitué de vieilles planches larges et noueuses. Il faut imaginer une demeure ancienne fermée la plupart de l’année comme sortie d’un conte de fée. Les odeurs rances et humides des lieux délaissés ont été remplacées par des effluves qui transpirent des murs comme une matière organique : l’odeur fleurie du vieux bois, celle entêtante de la résine chaude, celle étouffante de la poussière. Les abeilles construisent leur nid derrière les volets à l’extérieur ; on est comme dans une ruche tapissée de cire. On trouve des loirs dans les tiroirs, des lézards verts nichés sur les rebords des fenêtres, des souris tapies dans la mousse des fauteuils de jardin. La nature a repris ses droits, les humains sont des intrus, un autre monde grouille derrière les cloisons. L. a dix ans, il est en vacances, il sait que les aventures qui l’attendent dans sa villégiature de montagne condamneront à jamais la vie triste et grise de la grande ville et l’école entre quatre murs. Ça commence par cette maison qui impose une présence charnelle étrange et la supériorité des choses qui demeurent. L. dort dans une chambre au-dessus du salon, dans un lit bateau, à côté de sa grand-mère qui l’envoie d’abord seul se coucher. Les adultes se tiennent le soir dans la cuisine, L. est seul à l’étage, il n’est pas rassuré. Il reproduit mentalement le sol du salon en dessous, ses vieilles planches noueuses dont l’alignement régulier est interrompu par un grand rectangle au milieu de la pièce, une trappe, qui mène à la cave par une échelle vermoulue. L. n’est pas rassuré, il entend au-dessus de sa tête des pas, qui viennent du grenier. Il a dit qu’il entendait marcher au grenier. Ça devait être un hibou. Rien ne sert d’interroger les adultes. Quelqu’un marche dans le grenier ! Écoute ! Non… Et en bas ? Écoute le grincement… Alors que les premières brumes du sommeil l’envahissent chaque soir, à la même heure, il sursaute, il entend la trappe du salon s’ouvrir, il voit le grand rectangle de bois se soulever et du trou noir jaillissent les lignes mouvantes. Sous la trappe, dans le lieu inconnu, on tient à peine debout, le dos voûté, la nuque baissée, pour rien au monde il n’y serait descendu. Pourtant chaque soir, vers 22 heures, il se laissait happer par le rectangle de lumière et rejoignait Rampono.