Dès que les rêves se sont réfugiés sur les rives de l’au-delà, Mafalda se lève, sans bruit pour ne pas réveiller Gildo qui dormira encore une heure ou deux. C’est le moment qu’elle préfère quand elle est seule à se déplacer dans la maison. Elle enfile très vite sa tenue pour aller dans le jardin, une robe de coton toute simple, sans fioriture, avec des poches, et ouvre la porte pour rejoindre le dehors. Elle se tient bien droite, en haut de l’escalier en béton. Elle est dans la maison à C. près des bords de Loire. Le palier extérieur lui tient lieu de sas entre ses mondes. Le regard porte loin. Bien plus loin qu’on ne peut l’imaginer. Elle a posé un panier d’osier à ses pieds, pour récolter des haricots. L’ombre a encore ses ailes larges car il est encore tôt. Mafalda a conservé l’habitude de se lever de bonne heure, l’habitude prise dans l’enfance où il ne fallait pas traîner, le travail n’attendait pas à la ferme. Désormais plus rien ne l’oblige à se confronter à l’aube, mais il y a des rites qui subsistent sans que l’on ne puisse rien y faire. Du haut de cet observatoire, elle regarde ce que personne ne voit. Les collines aux pieds de vigne, les cyprès, les arbres fruitiers, le clocher avec sa scansion des heures, le village de l’enfance, les soeurs qui couraient, la mère qui appelait , le père qui partait travailler dans les champs, et elle toute petite qui ne savait encore rien de l’avenir qui lui était réservé. Cela demeure en elle comme une carte postale: elle se revoit en haut de l’escalier qui montait à une sorte de grange, dont elle a un souvenir très net car il fallait faire attention pour grimper sur cet escalier car les marches étaient inégales et personne n’avait songé à installer une rampe du côté du vide. Elle se revoit jouant avec ses sœurs, lorsqu’elles en avaient le loisir sur cet escalier à sauter une marche puis deux ou trois selon l’âge qu’elles avaient. Elle se demande si une rampe a été installée depuis …
Criblés de taches de rouille, les songes se tricotent une maille endroit une maille envers. Des motifs se dessinent puis se métamorphosent. D’ici c’est un paysage de platitude qui s’étend, des champs, des maisons, quelques vaches, une route et des chemins, et la rivivère un peu cachée derrière les haies. Elle se plait bien dans ce lieu, découvert un peu par hasard, lorsque, malade de la tuberculose, elle a dû confier ses deux premiers enfants à une famille d’accueil qui vivait dans ce village. Pendant près d’une année, ses deux enfants sont restés chez eux. Des liens se sont noués. Gildo rendait visite aux enfants. Le village lui a plu. Quelques années plus tard, ils ont d’abord trouvé une location, puis d’autres années passant, ils ont fait construire cette maison au centre d’un grand jardin. Mafalda aime son jardin comme on aime quelqu’un. Elle descend les marches, se tenant à la rampe d’une main, et se dirige vers le carré des haricots et d’un coup d’œil expert, se dit que la récolte sera intéressante.
Merci Solange. Beau texte qui nous guide dans l’enfance tel cet escalier sans garde-fou et comme Mafalda nous retombons nous-aussi dans ces souvenirs volatils mais si présents, quelque part à l’intérieur.
Merci Florent d’avoir partagé ce commentaire et d’avoir écrit le mot garde-fou qui ne m’est pas venu à l’esprit en écrivant et que je trouve soudain évident!
Merci Solange, de nous dire ce que personne ne voit…
Chez toi aussi collines arbres jardins, petits bonheurs du lever tôt… et j’ai envie de dire : comme je comprends Mafalda …
Partage des pépites du petit matin (le meilleur du jour)! Je suis les photos de ton jardin dont tu parles avec tant de plaisir! Et merci de continuer à me lire…
« Criblés de taches de rouille, les songes se tricotent une maille endroit une maille envers. » J’aime beaucoup cette phrase.
Merci beaucoup Jad !