C’est drôle, mais la première fois qu’on s’est rencontrés, Daniel m’a posé cette même question – Vous vous souvenez de ce qui s’est passé ? -. J’osais à peine le regarder, mais je savais qu’il faisait allusion à l’événement. Je n’ai eu aucun mal à répondre. « L’odeur », j’ai dit. « L’odeur » a répété Daniel avec une inflexion dans la voix. Il voulait être sûr que c’était bien cela, l’odeur. « Oui, l’odeur. » Je suis redevenu silencieux, en attendant qu’il me pose la question suivante « L’odeur de quoi ? », mais il ne l’a pas fait. Il s’est tu lui aussi, je sentais son regard sur moi, mais aucune question n’a surgi, sans doute parce qu’il savait de quelle odeur il s’agissait. S’il m’avait posé la question « L’odeur de quoi ?», j’aurai également su répondre. Car elle revient souvent. Certains jours, certaines nuits, elle revient. Surtout dans mes rêves les plus tenaces. C’est pour cela que je sais que c’est vrai, que ce j’ai fait est vrai. Elle est la preuve dont je n’ai pas besoin. Elle imprègne mes narines jusqu’à presque les étouffer, je me réveille en sueur, tourne la tête de tous les côtés pour savoir par où elle s’est infiltrée, pour savoir si j’ai provoqué un autre malheur, mais je me rends compte que c’est un nouveau cauchemar et je reste assis essayant de retrouver mon souffle, tout en pensant que si j’ai pu le faire une fois je peux sans doute recommencer. Il y a une question à laquelle je ne suis pas capable de répondre, que Daniel ne me pose pas non plus, c’est pourquoi je l’ai fait. Ou comment je m’y suis pris, l’odeur ne me le dit pas, personne ne peut me le dire, mais c’est la raison pour laquelle je suis ici. Personne n’a encore trouvé la réponse. Si seulement à cette odeur s’attachait un geste, une pensée, un vouloir, mais elle plane toute seule dans les débris de ma mémoire, en gardienne de tout le reste. Quand elle part, j’oublie, quand elle revient, je souffre. Pourquoi, de cette maison qui n’est plus qu’une flaque grise sur le sol, c’est Gaspard qui est parti et c’est moi qui reste ?
une odeur-souvenir attachée à une scène, un événement qu’on veut oublier, pourtant elle reste, elle plane indéfinissable « dans les débris de sa mémoire », elle est là dans les rêves
et nous lecteurs, on n’ose penser à ce qu’il y a derrière…
J’ai du mal à y penser aussi, mais il va falloir m’y noyer ! Merci, Françoise, pour ton passage et ta lecture toujours attentive !
Une odeur à charge, accusatrice. Merci Helena. Toutes les pistes sont ouvertes.
Merci, Ugo ! Je vais voir où ces pistes me mènent !
Intriguant. « C’est pour cela que je sais que c’est vrai, que ce j’ai fait est vrai. Elle est la preuve dont je n’ai pas besoin »
Merci infiniment, Gilda !
« Si seulement à cette odeur s’attachait un geste, une pensée, un vouloir, mais elle plane toute seule dans les débris de ma mémoire, en gardienne de tout le reste. » persistance olfactive qui garde son énigme .J’aime le mystère du texte.
Merci, Nathalie ! Quelle partie du mystère révéler, quelle partie va-t-on garder dans l’ombre, une question bien difficile à trancher !
Une écriture très dense pour dire cette odeur-mémoire terrible. Quelque chose d’inéluctable que l’odorat affirme. Très fort. Merci Helena !
Merci, Muriel ! Oui, il y a des similitudes dans nos textes. J’ai trouvé cela amusant en lisant le tien. Deux personnages au passé lourd peut-être ! 🙂
« en gardienne de tout le reste »
(c’est magique cette formulation !)
(merci pour ce texte qui prend à bras le corps, et le mystère avec)
Merci infiniment, Christine !
Mais quel texte Helena qui donne envie de plus, de savoir plus, de lire plus encore. Et cette phrase de fin « Pourquoi, de cette maison qui n’est plus qu’une flaque grise sur le sol, » je la vois tellement, je l’aime, elle est puissante. Merci Helena pour cette lecture du matin qui me réjouit. Bonne journée.
Merci infiniment, Clarence ! D’autant plus que la « flaque » est arrivée en fin de ligne, comme quelque chose qu’on ne prévoit pas d’écrire et qui pourtant est là.
formidable secret (le garder, par devers soi,le plus possible sans jamais le dévoiler) (bravo!!!)
Merci infiniment, Piero ! Les secrets les mieux gardés sont ceux que l’on ne connait pas soi-même. Dans ce cas-ci, il a appris ce qu’il a fait par les autres. Il ne souvient que de cette odeur, en effet.
Inquiétant. il paraît que l’on rencontre dans la psychose des phénomènes d’anosmie ou de d’hyperosmie (trop peu ou trop), en particulier avant le crime…
Je ne le savais pas, Véronique ! C’est vraiment troublant !
Merci pour votre lecture !
Bien sûr ça ouvre une piste et en ferme une aussitôt: il n’est pas coupable of course puisqu’il se désigne déjà comme tel,( il a tellement envie de faire plaisir) et ça semble arranger tout le monde ( sans compter que je me permets de rappeler en dépit de ce que croient beaucoup de gens : il n’y a pas plus de criminels chez les psychotiques que dans la population dite normale, (le commentaire précédent, même dans son innocence clinique ,me fait frémir… par contre on ne manque jamais de préciser quand ils le sont ce qui crée de grands dommages). Et si c’était l’odeur du vrai coupable qu’il a dans le nez ? et oui, bien sûr l’odeur de quoi ? Comme tu joues bien avec notre impatience, Helena !
Merci, infiniment pour tes précisions, Catherine ! « par contre on ne manque jamais de préciser quand ils le sont ce qui crée de grands dommages ». Tout à fait d’accord !
J’essaie de suivre la logique propre du personnage : pour l’instant, il se sent coupable d’avoir perdu un ami et parce qu’on lui a dit que c’était de sa faute. Il croit à ce qu’on lui dit. Lui-même n’a que cette odeur. Merci encore pour ta lecture !
c’est dommage, je n’avais pas lus ces commentaires en réponse aux miens et je regrette Catherine Plié de vous avoir heurtée.
Le texte d’où je sors ce que j’ai sans doute mal exprimé, trahi:
https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2007-1-page-259.htm
Je ne le sors pas pour me « justifier », parce que j’y ai lu, sur la psychose aussi bien que sur l’odeur, beaucoup de choses belles, intéressantes.
J’ai de très bonnes raisons de m’intéresser à la psychose et je ne fais vraiment pas partie des gens qui pensent psychose = (forcément) crime !
« Les odeurs, avant tout celle des fleurs, fruits, des plantes, mais aussi de leur pourrissement, la divine odeur du fumier des chevaux, l’odeur de la terre et de la merde dans le petit cabinet de bois du jardin sous un sureau d’intense parfum ; le goût des fraises sauvages, que je guettais sur les talus, l’odeur des champignons et surtout des cèpes, l’odeur des poules et l’odeur du sang ; l’odeur du chat et des chiens, l’odeur de la balle des grains, de l’huile, des jets d’eau bouillante, de la sueur des bêtes et des hommes, du tabac de mon grand-père, l’odeur du sexe, l’odeur violente du vin et des tissus, l’odeur de la sciure, l’odeur de ma propre sueur dans mon corps en action… » (Althusser, 1992).
Dans cette fuite des idées ordonnée autour du thème des odeurs, nous voyons….
D’abord, merci pour le lien qui renvoie à l’importance de l’odeur dans tant de domaines et aussi pour le texte magnifique d’Althusser ! Sur un autre plan, je me pose souvent la question de savoir pourquoi l’odeur dans les rêves est si vive et persiste autant dans notre mémoire. En tout cas, la proposition de François soulève pas mal d’interrogations, et c’est bien !
Merci infiniment pour votre lecture qui enrichit mes connaissances et me fait réfléchir !
pas de souci, je me plie (!) devant vos arguments
ha ha, j’écris sur une téléphone qui aime bien me corriger….
Oh zut, excusez moi, j’ai publié trop vite et écorché votre nom, Catherine Plée, pardon. Et laissé d’ailleurs bien des fautes…