Vous vous souvenez de ce qui s’est passé ?
Je fais un léger non de la tête et un faisceau électrique passe devant mes yeux. Non, je ne sais pas ce qui s’est passé, mais mon corps en ressent tous les effets, tous les jours, à toute heure, même endormi, je fais des cauchemars qui m’épuisent autant qu’ils m’épouvantent.
La crise a été moins violente cette fois-ci mais a duré plus longtemps.
Combien de temps, j’aurais voulu demander, mais les mots s’emplâtrent. Une semaine, un mois, plus ? Je regarde mes jambes maigres, mes mains aux doigts de brindilles sèches, pâles, presque translucides, les veines boursouflées aux endroits des piqûres. Combien de temps passé, combien de temps à venir ?
On va réduire les doses progressivement. Vous allez vous sentir mieux. Vous allez pouvoir sortir de votre chambre plus souvent.
Comment ? Je n’ai pas la force de déplacer tout seul les roues du fauteuil ; pour aller où ? je vais aller où ? Quelle fatigue, j’ai envie de fermer les yeux, mais pour Daniel, je fais un effort.
Je suis désolé pour le tribunal ; les choses ne sont pas passées comme on l’avait souhaité. Cela vous a mis sous une trop grande tension, vous vous êtes effondré.
Je me souviens du tribunal, des yeux de la mère de Gaspard posés sur les miens. Je crois que sa tristesse s’est infiltrée dans mon corps d’une manière si forte que j’ai voulu prendre sur moi toutes ses douleurs pour qu’elle ne sente plus rien. Elles devaient être bien lourdes pour que je m’effondre ainsi. Alors, cela ne fait rien. Si c’est comme ça que ça doit se passer…
Parfois on veut trop le bien des autres qu’on finit par leur faire du mal.
Vous ne m’avez pas fait mal, Daniel. Je me suis fait du mal à moi-même. Pour l’instant mes yeux regardent tout seuls, mes jambes sont encore trop floues pour marcher, j’ai la tête enfouie dans des nappes de brouillard…
Alors, j’ai pris la décision de rester jusqu’à votre rétablissement.
Je fais un effort immense pour étirer mes lèvres dans l’espoir que Daniel y voie un sourire. Il se lève et me serre fort la main, jusqu’à me faire mal, pour me dire sans doute, muet lui aussi, qu’il a compris.
Il faudra peut-être attendre encore un peu avant de reprendre nos séances.
Un rayon de soleil vient s’installer sur une partie de son visage. L’autre reste dans l’ombre. Deux Daniels. Je souris de nouveau, cette fois pour moi tout seul.
Je ne connais pas l’histoire, mais c’est très questionnant. Il flotte une étrangeté avec ce corps qui s’exprime en aparté et les mots de Daniel, de part et d’autre du gouffre du handicap (ou de la maladie). J’aime l’enchaînement des distances, près-loin, ça créé un certain vertige.
Merci infiniment, Jean-Luc. « L’enchainement des distances » n’a pas été fait intentionnellement, merci de l’avoir remarqué !
Émouvant, tendu, inquiétant. » Un rayon de soleil vient s’installer sur une partie de son visage. L’autre reste dans l’ombre. Deux Daniels. » quelle image !
Merci, Muriel, pour l’intérêt porté à cette histoire ! Je vais essayer de l’honorer !
« Parfois on veut trop le bien des autres qu’on finit par leur faire du mal. […] Je fais un effort immense pour étirer mes lèvres dans l’espoir que Daniel y voie un sourire. Il se lève et me serre fort la main, jusqu’à me faire mal, pour me dire sans doute, muet lui aussi, qu’il a compris. »
On est bien dans la tête de tous les personnages et on sait que leur histoire sera longue, commune ou pas. Dire « je » pour le personnage en grande détresse après son « effondrement » est une remontée périlleuse. Il esrt devenu Sisyphe avec sa culpabilité dans le dos…
Bien consciente de ce péril, Marie-Thérèse, même si cela provient d’un épisode personnel. Mais c’est vrai que la vérité de la vie n’est pas toujours celle de la littérature. Merci infiniment de votre lecture !
un texte qui nous parle en dehors du contexte que tu poursuis depuis le début du cycle
ce dialogue muet, pourtant lisible, fort
« on veut trop le bien des autres qu’on finit par leur faire du mal. »
Merci infiniment, Françoise, pour ta lecture. Quand une consigne me pose plus de difficultés, je fais une fugue vers le dialogue. Je crois que je vais les essayer tous ! Merci encore de ton passage !
ah lala, j’ai fait une petite pause avec l’atelier et je retrouve ce personnage attachant et étrange et c’est bien…
Contente de ton retour, Catherine ! Oui, il est en piteux état, ce personnage, mais toujours là ! Merci de ta lecture !
J’aime beaucoup, ces courts paragraphes, cette alternance, bravo.
Merci, Laurent. Tu me rassures. Je me disais que c’était trop court, mais en même temps je n’avais plus rien à ajouter ! 🙂
C’est très beau. L’idée de prendre le regard même du protagoniste qui prend peu à peu du recul sur son propre corps pour retracer les brides du souvenir de ce corps qu’il a égaré et qui lui est étranger… bravo
Merci, Géraldine, pour cette belle lecture !
Mise en intrigue réussie, on attend la suite. J’aime bien la forme. Les phrases très courtes qui posent un cadre et distillent des informations, l’italique qui plonge dans l’expérience.
Oh, merci Nolwenn !