L’éboueur gagne mille trois cent cinquante euros par mois pour trente-cinq heures par semaine. Arrondit les fins de mois dans son entrepôt avec stock et troc. Ne déclare pas l’arrondi qui n’entre pas dans les cases. Le trader gagnait cinq mille cinq cents euros par mois, c’était son salaire de base n’incluant pas les bonus. A vite gagné en expérience, les primes (sept fois le salaire de base) s’ajoutant à la base. Donc cinq mille cinq cents euros plus trente huit mille cinq cents euros égalent quarante quatre mille euros par mois. Pas besoin d’arrondir les fins de mois. A échappé de justesse à l’effondrement de tout, à commencer par le sien. Le professeur des écoles qu’il est devenu, histoire vraie, a gagné en début de carrière mille neuf cent vingt euros par mois. Il en est à deux mille quatre cents euros en grimpant normalement les échelons. Vient d’acheter dans l’entrepôt de la collection du fond un vieux livre de comptes du XIXème siècle avec des listes recettes-dépenses notées en chiffres penchés, clin d’œil à son passé. Le coiffeur-galeriste au début gagnait le S.M.I.C, taux horaire à trois virgule soixante-huit francs, et plus tard a gagné mille six cents euros, auxquels se sont ajoutés des pourboires aléatoires. Quand il a inventé son salon-galerie, dans un quartier fréquenté de la capitale, ça a marché. Sa boutique était bien située et sa démarche reconnue comme originale. Les journalistes ont suivi. Les artistes exposés reversaient quatre-vingts pour cent des ventes au coiffeur-galeriste. C’est ce qui se fait en général. Il a pris un assistant et s’est mis à voyager. L’artiste-peintre dont il est ici question en filigrane gagnait un peu, un peu plus mais pas beaucoup plus, sauf certaines fois. Souvent fauché, il aurait gagné à être connu hors du premier cercle. Mais comme il le disait lui-même : ma cote montera quand je ne serai plus là ; un artiste reconnu est souvent un artiste mort. En attendant, son cauchemar revenait chaque année quand il fallait déclarer les impôts au réel. Pas les moyens de prendre un comptable alors il fallait conserver le moindre justificatif, tickets de caisse et autres, traquer le moindre centime, trouver ce qui était déductible. Il était classé dans la catégorie professions libérales, ce qui l’a miné quand il a perdu le goût de la plaisanterie. Le comte a exercé toute sa vie le métier de restaurateur d’art : à partir de la volonté de sauver ce qui pouvait l’être chez lui au départ, il a petit-à-petit élargi le spectre, obtenant en la matière une petite notoriété sur le marché. Son salaire tournait autour des mille francs de l’époque par mois, et on ne le plaignait pas, lui qui aurait eu les moyens, pensait-on, de ne pas travailler. Mais on se trompait : il croulait sous les dettes, son château et son épouse perdue dans sa tête prenant l’eau tous les deux. L’étudiante routarde était bénéficiaire d’une bourse, échelon quatre, versée en dix mensualités. L’équivalent de cent quatre-vingt-trois euros par mois. Elle aussi arrondissait les fins de mois studieux, ce à coups de baby-sitting, de ramassage de pommes de terre et de cours de guitare. Jobs non déclarés. Ensuite, elle partait et revenait. Diplôme obtenu, elle n’est plus revenue du tout.
Je sais bien que le traider a échappé de justesse à la catastrophe, mais impression quand même qu’ils sont tous fauchés. Beaucoup aimé ce texte. Merci !