Elle toque à la porte… entre en annonçant une bonne journée et son sourire accompagne… je demande combien… cinquante-huit… oh… mais avec trente tarifs de groupe et six enfants… elle pose sur mon bureau l’enveloppe et le sac des espèces… reste immobile trois, cinq ou douze minutes | je ne sais pas, l’ai oubliée, je pense | avant de me dire à demain. Sur mon cahier je note cinquante huit et mes yeux descendent vers les jours précédents, quatre, vingt-cinq, cinquante-six, dix il pleuvait, le trait du lundi, trente-cinq, cinquante-six, douze, huit, soixante, cent vingt, le trait du lundi, trente, quarante-deux, quinze, soixante-huit (enfants deux classes, pourquoi l’ai-je noté ? ah la petite malade), vingt-deux, quatre-vingt-cinq, le trait du lundi, neuf, trente-quatre, vingt-six, quinze, soixante-dix-sept, le trait du lundi, quarante, vingt-huit, soixante-treize… je ne tourne pas la page… c’est futile… j’ouvre l’enveloppe et je range les billets et les compte, trente billets de cinq euros, quarante de dix, huit de vingt et deux de cinquante… je verse le sac et fais des piles, trois pièces de dix centimes, onze pièces de vingt centimes, quinze pièces de cinquante centimes, dix pièces de un euro et cinq de deux euros… j’enferme le tout dans le coffre… j’ouvre mon ordinateur, je regarde le résultat total, banque et espèces, qu’elle a porté pour le jour et puis le total depuis le début du mois… je grimace… nous entrons bien dans le creux de l’année.. je prends un papier sur lequel je note d’appeler demain matin l’E.A. pour modifier le nombre d’heures ou le nombre d’intervenants de ses passages hebdomadaires (l’équipe inchangée mais pendant trois heures, étant entendu que nous nous chargeons des sols, ce serait bien, il y a tout de même six pendules dorées et tarabiscotées, vingt chandeliers ou bougeoirs, une cinquantaine d’objets divers et faïences sans compter celles qui, comme l’argenterie sont dans des armoires vitrées et que je ne compte pas, les bouquets de fleurs sèches à remplacer éventuellement, deux lits à tentures, vingt huit chaises et trente fauteuils, une table bureau et deux bureaux à cylindre, une grande table, six petites tables volantes, une table à jeux, huit commodes, cinq petits meubles, les carreaux de céramique fleuris à l’intérieur de trois cheminées, quatre miroirs, les deux grandes glaces des toilettes hommes et femmes, six armoires vitrées, quatre petites fenêtres, vingt deux grandes… et tout ce que j’oublie) et comme Fatimatou est souffrante je soupire et descend d’un étage vers les toilettes, lave le sol du vestibule, des salles et cabines des hommes et des femmes, je nettoie les six urinoirs, les dix sièges, vérifie les dix rouleaux de papier et les corbeilles, tire la langue aux deux grandes glaces qui n’ont pas besoin de moi, prends un chiffon, descend les escaliers et les remonte en frottant la rampe | les ferronneries n’ont pas besoin de moi non plus | et comme je suis énervée je chausse les patins et traine les pieds sur les parquets du vestibule du rez-de-chaussée et de la petite galerie des portraits,, du palier et des quatre pièces du premier étage en insistant dans le grand salon, du palier et des huit petites pièces du second… je reste un moment immobile en me massant les reins et je prie pour que l’augmentation de subvention promise passe au prochain Conseil Municipal.
Merci pour ce texte !
merci à vous surtout
(j’aime énormément comme les chiffres amènent du vivant, d’abord par leur consistance seule, puis par les objets, puis par les interactions d’objets sur les gens, des pendules jusqu’aux portraits, les chiffres ne sont jamais des chiffres en fait, et ça se voit bien ici, très clairement)
enfin chez toi ce n’est pas mal aussi (rire devant cet euphémisme)
J’aime l’accumulation des chiffres. Et c’est peu courant de donner une place à une technicienne de surface (ou femme de ménage). Peu importe comment on dit, ce sont des femmes qui font un travail difficile et important et qui subissent le mépris d’une partie de la société. Elles méritent d’avoir une place dans un texte.
en l’occurence elle est malade la femme de ménage (j’ai en horreur ces « euphémismes » actuels qui sont une façon de rabaisser la fonction) mais une façon de mesurer ce qu’elle fait (même si une entreprise vient une fois par semaine)