#été 2023 #05 | absence

Nelly
Elle n’est pas allée au mariage. Une question de principe que plus personne aujourd’hui ne peut raconter. Vague souvenir d’un différend à propos de la date de la cérémonie. Il y a d’autres absents au mariage mais sur l’unique photo de la cérémonie je ne vois qu’elle. Son absence pesante, impérieuse, écrasant la petite assemblée qui prend la pose autour des mariés. Si elle avait été présente, elle se serait tenue au premier rang, aux côtés de sa fille -le protocole précise en effet que la mère de la mariée est l’hôtesse officielle de ce jour de fête-. Mais elle aurait peut-être choisi le deuxième rang, entre les deux mariés, ce qui l’aurait alors positionnée très précisément au centre de la photo. Elle aurait choisi sa tenue depuis longtemps et l’aurait suspendue la veille au soir à la porte de la penderie, pour l’aérer et lui rendre tout son volume. La coiffeuse serait venue rafraichir par une simple mise en plis la permanente réalisée deux jours plus tôt et elle aurait opté pour un maquillage discret, une poudre rose qui éclaire ses yeux bleu gris dont tous ses enfants ont hérité. Elle serait venue dans une voiture conduite par sa fille aînée, une deux-chevaux probablement, et on se serait donné rendez-vous à l’église. D’autres photos de la cérémonie auraient été prises, on y reconnaîtrait le fils et les six filles, les oncles et les tantes, les amis de la famille.

Julia
On pose sur un escalier de pierre sans artifices. Ils sont une petite dizaine répartis sur trois rangées. A la gauche du marié, c’est Julia, la tante qui a pris le relai après le décès des deux parents. Elle a le visage fermé, tristesse, colère ou gravité. Elle porte une robe sombre, un petit chapeau posé sur des cheveux probablement châtains. Les yeux bruns foncés, marque de fabrique de cette branche de la famille. Elle tient le bras de Freddy fermement, il y a quelque chose de solennel dans leurs deux corps qui se tiennent droits, comme sur les autres photos où ils posent ensemble, elle en tablier lui en uniforme de l’armée, dans ce qui sera plus tard le jardin de notre maison. C’est le mariage de deux êtres mais ce n’est pas le mariage des familles, elles resteront aussi distantes que les deux colonnes de pierres que le photographe a pris soin de faire figurer dans le cadre. Seule présence maternelle de la cérémonie, Julia endosse la violence de l’absence de l’autre mère. Elle se tait dans une langue rugueuse qui ne fait pas le poids face à l’arrogance du français que l’on se targue de parler si correctement.

Christiane
Elles ne sont que deux à avoir bravé l’interdit, respectivement les numéros 2 et 3. L’une protégée par un mari, seul contrepoids possible à la toute puissance maternelle, et l’autre la soeur amie, la soeur confidente. Une alliance née du lit commun, des corps qui se connaissent depuis toujours, qui bougent ensemble dans leur sommeil, se partageant l’espace dans une chorégraphie enfantine de jambes qui se touchent, s’évitent, pour finir par s’apaiser dans la chaleur partagée. Sur la photo, elle est au troisième rang, les bras derrière le dos, le regard amusé qui regarde hors champ. Peut-être une plaisanterie qui lui traverse l’esprit; elle jaillira tout à l’heure et elles riront ensemble.

A propos de Anne Vanweddingen

Formée au journalisme, travaille dans une société d'auteurs et d'autrices depuis longtemps, j'écris depuis toujours. Dans des cahiers à plumes, dans les marges, sur des papiers volants. Je cours, j'écris, je travaille. Je cours sur les bords du trou noir comme sur les rives d'un vieux volcan. J'écris mes aventures au centre de la terre.