Quatre.
Ils ne sont que quatre. Quatre à s’être retrouvés dans cette vilaine gargote, qui annonce pourtant crânement sur sa devanture Restaurant de la Plage. Deux femmes et deux hommes. Comme pour un double date, un rencard entre deux couples.
Quatre. Assis deux à deux. Les deux hommes font face aux deux femmes. Les femmes tournent le dos à l’entrée où je me tiens. Les hommes ne peuvent pas encore me voir. Ils se sont assis tous les quatre à la plus grande table. Entourés de chaises vides. Ne serait-ce la grande nappe cirée aux larges fleurs jaunes et rouge orangé, les chaises en plastiques jaune frappées d’un logo publicitaire, et l’odeur ambiante de graillon, on pourrait croire à une réunion de conseil d’administration. Les visages sont graves, des liasses de documents sont posés à la place des assiettes et couverts. Deux grandes bouteilles d’eau minérale posées dans de petites assiettes pour recueillir les gouttes d’eau qui coulent sur la surface extérieure. Des verres à l’ancienne, quatre pour l’instant.
Ils sont quatre, et moi qui arrive, je ne sers à rien, pas même à atteindre le quorum. Ils ne sont que quatre sur les huit professeurs sélectionnés pour faire partie de l’équipe. Quatre qui sont déjà un groupe, car eux sont arrivés à l’heure. Les deux femmes pourraient être sœurs. Même posture, même sihouette entre deux âges. Plus vraiment jeunes, mais pas vieilles, non. La cinquantaine encore alerte. Cheveu soigné et tenue sobre, uniforme, elles se sont carrées bien au fond de leurs chaises, les pieds ancrés au sol. Pas de jambes élégamment croisées. Pas de contact avec la table si ce n’est pour saisir, de temps à autre, le verre d’eau posé devant elles. Une marionnette à deux têtes. Les gestes sont mesurés, la position ne variant que de quelques centimètres. Pas des révolutionnaires. De bons soldats. Présentes à l’appel, acquiescant tour à tour aux paroles d’un des deux hommes.
Car en face c’est une tout autre affaire. L’un des deux hommes a visiblement pris les choses en main. Assis tout au bord de sa chaise, il a posé les deux coudes sur la table et parle en agitant les mains. Il prend soudainement le ciel à témoin, un doigt dressé en direction du plafond. Il goûte à l’attention des trois autres, leurs silences et hochements de tête. Ses gesticulations se remarquent d’autant plus qu’à côté de lui, l’autre homme, grand costaud au crâne rasé visiblement embarrassé par sa corpulence, reste immobile dans sa chaise jaune. De vrais pièges, ces chaises en plastique, instables, traîtresses indociles, pouvant à tout instant jeter leur maître à terre.
Ils sont quatre. Trois et un. Le meneur, que je reconnais à sa photo sur le site internet de l’école. Le professeur de lettres et de théâtre. Il tourne la tête et m’aperçoit. Il me reconnaît et se lève à demi de sa chaise. Son visage s’illumine malgré lui. Son agitation est perceptible. Quatre c’est un frémissement, une coterie, une cabale. Cinq c’est quand même quelque chose, le monde en marche, le début de l’action. Je n’ai pas d’autre choix que de m’avancer vers eux. Ils sont quatre et je rejoins le groupe sans même savoir ce que je vais y faire.
Contente de te retrouver Carine. J’aime beaucoup comme tu amènes la situation d’un double date à une réunion d’un autre registre. Il y a du rythme, ton récit est tenu
Merci beaucoup Gilda pour ton retour sur mon écrit. Je prends beaucoup de plaisir à ces exercices et les commentaires sur le résultat sont plus que précieux.