Ils étaient quatre, quatre isolés de ces gens verre en main dans ce jardin, ou plutôt les zones de ce jardin, quatre qui semblaient en dehors. Et comme ils étaient quatre qui semblaient en dehors, se sont retrouvés tous les quatre sur un coin de terrasse au dessus de la tente du buffet, des buissons de fleurs et des gens verre en main. Trois hommes et une femme. Ou une très jeune femme, presque une adolescente, avec un sourire fixe et noyé qui ne montait pas dans les yeux, et des pieds que l’on devinait virtuellement de travers. Des yeux qui ne devaient pas voir les trois hommes ni ceux qu’ils dominaient tous les quatre, des yeux qui ne regardaient qu’une idée, une image triste. Des yeux qu’un maquillage soigné avait mis en vedette et rendait cruellement perdus. Une très jolie robe et des cheveux peignés par une experte main amie, mais un sourire fixé et noyé et des yeux qui ne regardaient pas. Ils étaient là, sur la terrasse, la très jeune femme et trois hommes. Le plus affirmé, le plus large, avait installé son dos devant la très jeune femme, comme sans le faire exprès, sans ostentation, laissant un espace assez large entre ces yeux qui ne regardaient pas et son dos qu’ils voyaient. Ses yeux à lui avait effleuré sa silhouette, la robe, le maquillage et les yeux avant qu’il bouge lentement pour interposer entre elle et les regards sa présence massive, souriante, qui semblait accueillir avec bienveillance les autres existants, souplement campée sur ses fortes jambes et une canne sculptée, avec l’évidence, la plénitude, qui dissuadaient silencieusement toute tentative d’approche comme futile. Du moins c’est ce que ressentait le second des trois hommes qui se tenaient là sur la terrasse avec la toute jeune femme. Jeune aussi, le second des trois hommes, presque aussi jeune que la très jeune femme, et souple et mince, si jeune, souple et mince qu’il était une timidité modelée en garçon. Il regardait un groupe joyeux en rive de la fête dans le jardin, il se penchait vers eux, il était le désir de les rejoindre, surtout quand ses yeux isolaient la silhouette ensoleillée et rieuse de celui dont chaque phrase brève inaudible depuis la terrasse déclenchait des rires. Il jetait un regard furtif vers la présence massive et si leurs yeux se rencontraient, se choquaient, il se figeait, reprenait son air indécis, absent et l’homme pinçait un instant les lèvres avec un semblant d’autorité puis détournait la tête avec l’ombre d’un sourire. Le troisième et dernier des hommes qui se tenaient avec la toute jeune femme sur la terrasse au dessus de la tente du buffet, des fleurs et des gens verre en main, rangeait son imposant matériel de photographe, regardait ses deux compagnons du moment avec une amabilité vaguement ironique et teintait son sourire de tendresse gentille en pensant à la toute jeune femme.
De ces longues phrases qui chaloupent de détails en détails, l’impression de percevoir le fil minuscule qui tient la scène. J’aime beaucoup ce bercement.
merci
mouvement ( chalouper oui ) on est emporté
merci Nathalie
Il est bien là le quatuor, et ce qui les entoure, le terrasse, les verres et les autres, ils sont, là, surtout elle, tout en creux et ombres, fragile présence observée,
grand merci Catherine pour cette lecture sensible et embellissante
« avec un sourire fixe et noyé qui ne montait pas dans les yeux, et des pieds que l’on devinait virtuellement de travers. Des yeux qui ne devaient pas voir les trois hommes ni ceux qu’ils dominaient tous les quatre, des yeux qui ne regardaient qu’une idée, une image triste. Des yeux qu’un maquillage soigné avait mis en vedette et rendait cruellement perdus. Une très jolie robe et des cheveux peignés par une experte main amie, mais un sourire fixé et noyé et des yeux qui ne regardaient pas. » je la vois tellement en retrait dans le retrait des quatre.
merci (et si en retrait que principale ou presque)
je me croyais dans une scène de Fellini en noir et blanc, la dolce vita ou quelque chose comme ça
peut être à cause des regards, du désir non exprimé…
fort le déséquilibre de ces quatre là, verre à la main
merci Françoise (peut être un inconscient générationnel et des images de Fellini ou Antonioni qui me viennent naturellement
bravo, bravo, bravo (sic)
🙂
Antonioni c’est bien possible, ou les premiers Duras, il faut dire que c’est très visuel (et si réel) ce jeu de non regards tout en silence. Merci
🙂
C’est très beau (temps suspendu) et le passage « mais un sourire fixé et noyé et des yeux qui ne regardaient pas » prend au cœur
merci Christine
Une vraie scène de groupe avec sa densité, ses jeux subtils d’apparence et non regards, dominations à peine camouflées.
Comme c’est beau ! D’emblée on se retrouve à l ‘affût d’eux, d’en découvrir davantage, on traque les détails précis et énigmatiques à la fois. Tellement visuel. Et oui tout mais en particulier « les pieds virtuellement de travers ». J’adoire.
grand merci mais pardon sollicité pour min absence sur les billets de vous tous (sera si pas trop chaud pour août) – et d’autant plus honte que je sais ce que nos lectures ont de riche pour chacun, que ce soit le plaisir de soutenir, que ce soit l’aide du soutien)