Imaginez : le soleil de midi ramollissait le goudron de la rue du canal comme un chocolat laisser sur une table exposée au sud. Les fleurs rouges et roses s’évadaient des pavillons, elles débordaient sur le trottoir filant entre les grilles poursuivies par quelques dahlias bleus. Les portes et les fenêtres ouvertes laissaient entrer un peu d’air frais en soupirant. La lumière forte de ce début d’après-midi appuyait chaque couleur, le monde se tropicalisait, on changeait d’hémisphère. À la place des hirondelles et des moineaux, on avait la certitude d’apercevoir dans le ciel des aras et des toucans et si au loin on devinait une silhouette sombre, le corbeau devenait condor. Les voitures garées, chauffées par le soleil, se rafraîchissaient du peu d’ombre des platanes ou peut-être des palmiers, leur pare-brise comme une loupe faisait transpirer le skaï des Simca et des Peugeot. En bas, près de la gare, il y avait les marais. L’eau grise et ondulée abritait un grouillement animal, dans ce liquide la vie nageait en zigzag. À cette distance la vapeur d’eau créait un mirage, les immeubles avaient la tête en bas et les nuages dans le ciel se déplaçaient au gré des vaguelettes, les verticales s’inversaient, les horizontales tremblaient. Il croisait l’avenue de la gare et il s’approchait du point d’eau espérant trouver un peu de fraîcheur, mais le reflet du zénith sur la surface augmentait la température de l’air, alors il a accéléré son pas. La chemise qu’il portait commençait à coller à son torse, la poignée en plastique de son porte-document lui brûlait les doigts. Il longeait la voie ferrée, entre les traverses des chardons aux fleurs bleues résistaient, quelques lézards prétentieux et immobiles le regardaient sans sourciller, contre le grillage des arbres à papillons couverts de fleurs mauves s’impatientaient en attendant des insectes volants. Les immeubles sur le trottoir opposé étaient anormalement silencieux, chacun terré dans son appartement limitait ses paroles et ses gestes attendant les heures rafraîchissantes et inquiétantes de la nuit, l’instant ou la gazelle va boire à la mare, ignorante du crocodile qui l’attend en souriant. Arrivé au grand pont, il traversait en passant au-dessus des voies de chemin de fer, laissant la périphérie pour le centre-ville. Cette frontière symbolique passée, il prenait quelques rues bordées d’immeubles de bureau. Les façades en verre fumé éclaboussaient de lumière les véhicules et les rares passants. Les yeux mi-clos, il avançait vers le prochain virage guettant comme un touareg la prochaine oasis. Il arrivait sur le quai, les voiliers au mât dénudé s’agitaient lentement au rythme du vent d’été. Les terrasses des cafés (où les parasols luttaient pour préserver leur tâche d’ombre) étaient désertes, elles attendaient un client assoiffé. On devinait derrière les vitrines et au fond des magasins des silhouettes noires, les mouvements lents les trahissaient. Il était arrivé sur le parvis, il lui fallait certainement attendre, la bibliothèque n’ouvrait jamais avant une certaine heure.
vous écrivez, nous imaginons… sans trop de difficulté, l’écriture est assez sensuelle pour nous guider