On ne circule pas en voiture au début du XXe siècle dans un village de montagne en nid d’aigle. On apprend à marcher ou plutôt à grimper (afin d’éviter la côte, j’en connais aujourd’hui qui sortent un véhicule pour franchir deux cents mètres). Il faut quand même garder quelques forces pour pousser la lourde porte en chêne qui sépare de la cour, soutenir l’anneau en fonte, traverser le premier obstacle du porche massif qui dérobe à la vue l’au-delà de la vie familiale. Le chemin d’accès au village est raide mais on oublie l’essoufflement, la tension des muscles en noyant son regard dans l’épaisse moquette verte qui couvre les montagnes, en suivant le vol des rapaces suspendus dans le ciel livide, en écoutant le murmure de la source qui alimente encore l’ancien lavoir. Si on ne lève pas la tête, le regard se heurte au sol, s’accroche à la pente ardue qui bloque l’horizon. On peut se laisser surprendre par le porche d’entrée qui cache la maison. Cette forteresse encombrante n’existe plus aujourd’hui. Je ferme les yeux, je l’imagine. Dans la cour enclose, les bêtes ne s’échappaient pas, la grange et les chais étaient protégés, la porte fermée assurait la sécurité. La famille montrait aussi son importance en dérobant aux regards les activités de la vie domestique. La porte dissimule le lieu que je cherche à décrire. Elle n’existe plus mais le lieu que j’évoque, que je cherche à ressusciter, est masqué parce qu’il appartient à un autre temps. La porte que je guette désormais au bout du chemin, levant la tête au plus haut pour braver l’horizon, est solidement bâtie de corne et d’ivoire. C’est la porte des songes, où débouche la mémoire.
beauté de cette porte de corne et d’ivoire, un lieu propice au rêve
Merci Catherine d’être passée lire.
très joli, très évocateur texte. la montée d’abord, puis la porte qui se transforme, qui disparaît et réapparaît. la mémoire qui prend la porte des rêves…