Dans le bourg enclavé que l’on peut longer sur les hauteurs, certaines trouées permettent d’observer les vallées, et les reliefs du pays, avant que le point de vue ne s’efface de nouveau, obscurci par les coteaux ou les contours noirs verts et jaunes des forêts. Je suis désarçonnée par cette succession de chutes et d’envols, ces cascades, ces cavalcades où les torsions des chevilles rejoignent ce qui se plie et se déplie au fond de soi jusqu’à ce qu’au terme de plusieurs heures de promenade il devienne bien difficile de distinguer ce qui relève de la rumination intérieure et de la fatigue du corps immergé dans un lieu étranger pourtant si familier que la désorientation est la plus totale.
Nord. Le bourg est traversé du Nord Est au Sud Ouest par la route principale qui s’encaisse dans la vallée et jouxte le cours d’eau, si bien que l’on perd la signification du Nord dans cet espace creusé en diagonale, un Nord inaccessible, insensé sur la carte sillonné de minuscules petites routes qui partent à travers champs et traversent quelques bosquets aussi. A observer la vue satellite du lieu, elles paraissent si étroites ces bandes de forêts dans lesquelles je pense m’enfoncer pour ne jamais ressortir, je conçois des étendues à perte de vue, des lieux de perdition, quand il ne s’agit vu d’en haut que d’une parenthèse végétale. C’est, me dis-je alors, très certainement que la forêt ouvre d’autres espaces qui n’apparaissent pas sur la carte ni sur la vue satellite.
Sud. Le boulanger vient du sud, comme les andouilles. C’est ainsi, c’est la spécialité, de ce côté-ci de la vallée de savoureuses saucisses à la peau croquantes volontiers servies avec des morceaux de navet rôti et une sauce au munster. Sur les crêtes on peut voir cette partie-ci du val. J’ai souvenir de cette promenade un après-midi ou brusquement derrière le rideau d’arbres s’ouvre une vue nouvelle sur le paysage en contrebas. Un bâtiment des années soixante-dix aux allures de colonie de vacances abandonnées surplombe la vallée. Sur le panneau s’affichent ces quelques mots « ici on accepte la différence ». L’institut médico-éducatif,de fait, est encore en activité et dresse sa bizarre silhouette au milieu de nulle part, une différence logée là, en retrait, au beau milieu de la forêt, à l’oppose de cette flèche qui pointe vers un Nord inaccessible…
Est. Est-ce bien à l’Est que l’on peut voir la gare devenue casino et, plus haut, la silhouette massive d’une immense maison bleue aux volets blancs dont les toits ouvragés font irruption entre la cime des arbres ? En contrebas se trouvent les réservoirs d’eau les plus anciens du bourg et une ancienne – et cette fois-ci véritablement destinée à cet usage – colonie de vacances. Les ruines antiques ont quelque panache, les restes des équipements publics des années soixante dix laissent eux, une sensation étrange. Le feu à peine éteint, la terre pas encore tout à fait froide, quelque chose couve encore sous la cendre qui pourrait renaître, sans qu’il soit bien évident de déterminer quoi et sous quelle forme. Derrière les barrières qui marquent encore les frontières des anciens terrains, la chose informe est tapie et manifeste sa présence à qui veut interpréter l’imperceptible.
Ouest. La route, les sentiers aussi, partent à travers champs et rejoignent le petit village de R. Le cimetière minuscule respire à peine sous un ciel plombé où l’orage menace. L’indécision est grande alors sur la stratégie à adopter entre trouver refuge sous le couvert forestier ou rester sur la route par crainte de la foudre et des chutes d’arbres. C’est qu’en effet plusieurs troncs sont effondrés et barrent le sentier. La pluie se fait attendre. Dans le village de R, les enfants jouent à côté de l’église. Un homme torse nu, le corps solide astique sa voiture. L’auto-radio passe Balavoine et lui l’aspirateur.