Pas de souvenir d’entrer dans cette maison par la porte située sur la rue Est-Ouest mais plus par celle du garage, rue Nord-Sud – la rue monte vers le sud, en haut le boulevard SQ où se trouvent les écoles lycées (plus tard s’en construira un professionnel, en lieu et place d’un terrain de football) – ses quatre enfants y suivent une scolarité parfois décousue – ils finissent tous par un bac et des études supérieures dans la capitale ou ailleurs. Comme leur père, mais pas comme elle : fin de seconde ça ne lui servait plus à rien, elle « schtrattait » disait-elle (nous, nous « séchions » plutôt) (en y pensant un peu, je découvre que c’est vers cette époque-là que la guerre (deuxième et mondiale) se déclenche dans le pays – elle ne durera que peu de temps : l’un de ses lointains cousins rédigera un livre (chez L’Harmattan) qu’il intitulera les cinquante cinq jours de Tunis en vague référence à ceux de Pékin mis en scène par Nicholas Ray). La rue Est-Ouest : à droite en sortant, vers l’est donc, le mur de briques que le cadet frappe de ses balles; les troènes qui marquent la haie du jardin (dans ce jardin, en son presque milieu, un poirier qui ne donne rien), le mur en béton du jardin de l’une des maisons jumelles des sœurs italiennes (ou étaient-ce leurs maris qui étaient frères ? ou les deux ensemble ?); continuant on trouverait la maison moderne de plain pied d’un médecin puis plus loin encore, une clinique peut-être maternité et un stade pour aboutir à la rue LT., qui marque la fin du quadrilatère vers l’est, laquelle, en son numéro 71 abritait une sorte de club ou d’association plus ou moins paroissiale dans laquelle l’aîné de ses enfants montait des pièces de théâtre, projetait des films (son amoureuse vivait au 42 de la même rue) (il faisait de même dans sa chambre, huit millimètres, et des documents traitant par exemple des derviches tourneurs – comme ces documents n’étaient pas sonores, on passait sur un tourne-disque plus ou moins Teppaz des airs appropriés, style Une nuit sur le mont Chauve ou Prélude à l’après-midi d’un faune). À gauche, la rue E/O continue jusqu’à l’autre bout du quadrilatère et la rue GdR au haut de laquelle on trouve l’accès par un chemin très pentu aux courts de tennis (en descendant cette rue, le garage Ford fait face à la maison de la famille de O. – D2CDM (2)). L’autre rue est orientée nord sud – N/S. La maison marque un des coins (ils sont quatre) (ici est-sud) des deux rues – elle est de briques, toit d’ardoises noires, deux étages réunis en une seule habitation, plus le troisième, deux chambres pour les filles (lorsque sa mère – et donc leur grand-mère – vient séjourner quelques semaines, l’une des filles passe dans la chambre de l’autre et cède la sienne), trois greniers, deux appartements (c’est pourquoi ces deux garages au rez-de-chaussée); les trois autres coins sont occupés : l’un (ouest-sud) par une maison inconnue, l’autre (ouest-nord) par un Familistère (enseigne d’épicerie qui fait dépôt de pain) et le quatrième (est-nord) par la maison dans l’esprit pavillon Mansard de l’huissier greffier juriste quelque chose propriétaire de la maison qu’ils louent. Ce propriétaire dispose d’une belle-mère âgée (madame T.) avec laquelle elle entretient de bonnes relations (elle va la voir, régulièrement, l’après-midi vers quatre heures, et elles parlent dans l’espèce de grande véranda qui marque l’entrée de cette espèce de pavillon vaguement grand siècle (on pourrait balancer en disant que la belle-mère ne goûte guère l’esprit de son gendre (je tais ici ce qu’elle, elle en disait), mais ce ne serait de rien – tout ce beau (mais petit) monde est mort et enterré). Madame T. ne vient jamais chez elle (et eux), il se peut qu’elle soit grabataire (en tous cas elle est très âgée, assez gentille avec les enfants de sa voisine-locataire). Plus tard, et plus loin sur l’axe est-ouest, vers le milieu de la rue, à droite, viendra s’installer un autre médecin (lui ira en consultation chez ce praticien) (cette maison-là est dans les bleus et sera occupée, plus tard encore, par un des professeurs de mathématiques officiant au lycée sur le boulevard, plus haut – blouse grise, sourire rare poil noir, pénétré de son devoir pédagogique). Continuant, on trouverait des chemins qui serpentent à peine entre les maisons particulières et de nombreux garages, parkings pour les autos – devant l’une de ces entrées loge l’un des voyous qu’on disait blousons noirs (cheveux en banane) qui pilotait une mobylette Malaguti pétaradante. À l’autre entrée marquant le coin de ce chemin de terre mais carrossable, la quincaillerie où s’achètent entre bien d’autres choses vis et clous au poids. Suivant cette direction et en infléchissant la progression vers le sud (en montant, donc) dans la rue suivante, on trouve une enseigne café-bar-jeux où les élèves du lycée viennent pour s’affronter aux babyfoot et autres flippers – aujourd’hui un kebab semble-t-il – tenue par un couple, lui boitant, roux, râblé, elle brune ronde cheveux courts, tous deux commerçants qui ne boivent que de l’eau au sirop. Au bar on sert des picon-bières, des blancs-kas et des perroquets (pastis-sirop de menthe) et autres solutions aux postiers en deux roues et autres coureurs de rues. Plus haut dans cette même rue, sur la droite un peu avant le boulevard, la maison d’une des amourettes ou amoureuses, comment savoir, du cadet. Parcourant vers l’est la rue adjacente, toutes les maisons sont semblables à en périr de conformisme : dans l’une d’elle cependant vit la famille d’une blonde (grande et sérieuse) laquelle est assez amie avec la fille du charcutier (brune et belle à en mourir) dont l’établissement se trouve quatre ou cinq rues plus au nord (en descendant donc). Dans la rue N/S se trouve aussi une maison semblable à toutes les autres au rez-de-chaussée de laquelle se tient assise jour et nuit semble-t-il, seule, peut-être vaguement en compagnie d’un chat, une vieille femme à laquelle on adresse parfois en passant un signe de salutation ou de connivence (elle se trouve sur le chemin de l’école, la lumière ne l’éclaire jamais, elle semble négligée en cheveux gris et masque bistré), signes auxquels elle répond – un jour, elle intimera à l’une des filles de venir, d’approcher, et lui donnera une pièce de deux centimes (ces pièces qui n’avaient aucun poids et à l’avers desquelles se dessinait une tête de femme – sans doute la République ou quelque chose) : s’ensuivit une rigolade (on n’en faisait pas plus alors qu’aujourd’hui avec deux centimes…) venant en droite ligne de cette peur bleue qu’elle avait éprouvée. En descendant cette rue, laissant à main droite la maison, on croisera le Paris Bijoux Bazar face auquel se trouve la maison où vivent deux ou trois garçons, une famille tout autant, l’une des filles s’est éprise de l’un d’eux (ça ne dit pas s’il y eut ou pas d’autres relations). En descendant encore se trouve un garage où lui fait entretenir (vidange-graissage) sa voiture (quatre-cent-trois (bleu nuit) puis quatre (grise et break), la Fiat puis la R16, ces deux dernières bleu clair) : le tenancier du lieu est un homme chauve et assez âgé (en tout cas plus que lui) éternellement en bleu poissé de graisse avec lequel se nouent pratiquement immédiatement des relations courtoises (clientélistes, d’abord peut-être, mais amicales) probablement parce que, de l’autre côté de la mer et durant une dizaine d’années, la gérance d’un même commerce l’occupait, lui, et que, à présent, son travail s’exerce dans une manufacture de pneumatiques (il s’y connaît donc pas mal en mécanique automobile).Total il me semble bien. Au coin suivant se trouve une poissonnerie, puis plus loin, un bar tenu par une espèce d’être bizarre – féminin, très probablement – : trois tables et trois chaises à chacune, une espèce de bar et un bec à bière – son père (qui vient de temps à autre) emmène son petit fils et lui offre la mousse de la bière qu’il vient boire ici – il peut aussi descendre en ville, par l’autobus Trois/Sept (trois-septième dit sa femme) et se désaltérer (la mousse a le même usage) sur la place de la gare, dans l’un des nombreux bars qui s’y trouvent (il y emmène donc aussi son petit fils). Ils reviennent à pieds, parlent certainement, mais de quoi ? Mystère… On passe par la place de la Défense passive, on emprunte la rue où se trouve le cabinet de l’orthophoniste monarchiste très Action française qui soigne les dysorthographies de l’aîné de la famille, on tourne vers la droite devant une clinique (ici on recoudra en cinq points l’arcade sourcilière du cadet un jour où elle se sera fendue sur trois bons centimètres après que la tête dudit cadet eut heurté salement la glace de la patinoire), on passe sur l’arrière de l’église, (au fond, au coin se trouve la poissonnerie – aujourd’hui c’est une épicerie – arabe probablement) – on prend à gauche et monte encore cette rue (en haut de laquelle, dans une villa un peu semblable et un peu différente à toutes les autres, vit le maire de la ville) puis, à droite, la maison se trouve là, sur ce coin, à gauche, et là, la porte d’entrée.
J’aime la précision et les détails de ce joli texte. merci.
Merci à toi Clarence
et arrivée là je me dis que tant pis si e n’ai pas, comme j’en ai eu un moment l’intention, de prendre un papier, un crayon (ça va plus vite maintenant qu’avec un clavier) pour a) tenter de dresser un plan, b) tenter d’établir une généalogie, parce que c’était très bien ainsi
on peut être tenté de le faire – tous les moyens sont bons…. Merci de votre lecture passage commentaire Brigitte
Ecrire comme filmer. Donner à voir et ça passe vite d’une maison à l’autre, d’un commerce à l’autre, d’un personnage à l’autre. La caméra passe trop vite, ce qui fait la particularité du texte, on voudrait s’attarder, mais non il faut suivre, et c’est une autre image. Comment fais-tu ? Tu sembles avoir un réservoir inépuisable. Peut-être pourrais-je y retrouver ma photographe ? mdr. Très envieuse. Grand bravo.
En Belgique, on disait « brosser », on brossait les cours. 🙂 Tu peux m’en dire plus sur l’origine de Schtratter ? Si tu me retournes la question, je n’ai pas de réponse.
@Anne Dejardin :Merci à toi Anne – non je ne sais pas pour « schtratter » (brosser, sécher, schtratter…): une même pratique pour un air de liberté… Merci encore