#été2023 #13 | ce qui échappe.

Il marche comme chaque matin il marche il suit une ligne qui semble sans fin il marche du sud au nord. Comment il le sait ? À cause du soleil qui se lève à l’est. Il le regarde se lever chaque matin il le regarde fournir cet effort et il pense qu’ici c’est plus dur qu’ailleurs parce qu’il doit escalader la falaise. Sa teinte varie selon les saisons, surtout dans sa partie plus boisée. Sa roche est de couleur rouille et ce pourrait être une montagne en fer que les pluies torrentielles auraient fait rouiller. L’effritement en serait différent au lieu de laisser tomber comme un morceau de peau en suivant une faille déjà bien visible à l’œil elle partirait grains par grains colorant les vagues qui s’aventureraient à la lécher comme les spécialistes le prédisent que cela arrivera que toutes les villas alignées entre la mer et la falaise seront balayées malgré le granit de leurs murs et les tourelles et les toits pointus en ardoises et le mur qui les entoure surtout à l’est car côté mer il reste de hauteur réduite pour ne pas les priver de la vue mer ce serait dommage et aussi un peu bête il marche en pensant à la photographe qu’il ne retrouve pas et c’est un peu comme si ses interrogations la construisaient parce qu’à force il répond à aux questions qu’il se pose lui donne un âge un passé un présent un physique un caractère il marche et parfois il oublie de regarder à l’ouest ou alors il ne s’attarde pas il marche sur le sable mouillé mais pas trop près des vagues à cause de ses chaussures qu’il veut ménager pas comme l’autre paire qui avaient pris une odeur épouvantable d’avoir mal séché sans doute il marche vers le nord la grande ville perchée comme une île avec la mer tout autour à lorgner vers Chausey comme dans le pré d’à côté il marche comme on médite il marche en écoutant la voix dans sa tête lorsqu’elle prend la parole et tant pis s’il ne se souvient de rien en rentrant parce qu’il marchera dans l’autre sens vers le sud qui est la pointe de la falaise qui vient presque se jeter dans l’eau ici mais par temps de grande marée on peut continuer pour passer au village d’à côté puis à celui encore à côté et ainsi de suite et alors c’est marcher avec vue sur le Mont St Michel et là il oublie de penser pour juste cela regarder.

Ce matin la photographe est d’une blondeur un peu rousse ou plutôt auburn, elle a été peintre, elle a tout quitté, elle a une petite quarantaine, elle n’a plus la minceur de la prime jeunesse, pour lui cela veut dire qu’elle a des seins, une poitrine généreuse comme  on dit, quelque chose de doux qui ne tient pas dans la main, qui déborde et s’échappe, même s’il sait que cela ne veut rien dire, que la taille de la poitrine n’a pas vraiment de lien avec l’âge, qu’elle a un caractère impossible, une fausse dure pourrait-on dire, une sensible qui préfère frapper ou partir lorsque ça fait mal, ce matin elle ressemble à cela, la photographe. Comme le sein sous la main dans l’amour, elle échappe. Mais ce matin, il la tient. Pour un court instant.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.

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