Après le petit déjeuner avec John, le Docteur Beiju est seul dans son cabinet sur le mur face à lui un mandala, un refuge dont ses patients semblent tant en avoir besoin, derrière ses lunettes son regard s’y perd régulièrement cherchant à rééquilibrer ses énergies. Sa porte grande ouverte, il reçoit chaque matin les pensionnaires du centre avant leurs soins. Voilà le groupe de polonaises tout juste arrivé, dès qu’elles auront posé leurs valises je les recevrai les unes après les autres. Pas de temps à perdre, inutile d’attendre que le décalage horaire se soit dissipé dans le néant pour commencer le premier entretien. Le centre est complet pour toute la saison. Je dois me préparer, réajuster mon kurta froissé, mettre en évidence mon tensiomètre fraichement arrivé d’Allemagne ce matin, ça fait plus sérieux que mon ancien dispositif désuet. Je vais prendre leurs pouls de mon air entendu les écouter prêtes à décharger tout leur fatras psychologique et à me supplier de les aider à perdre leurs nombreux kilos de problèmes, inlassablement me retrouver en train de leur expliquer les trois doshas Vata Pitta Kapha, – combinaisons des cinq éléments, air, éther, feu, eau et terre avec une dominance de deux d’entre eux, elles attendent le miracle, croient en ces trois doshas comme si ces mots ésotériques pouvaient résoudre tous leurs maux. Je ne suis pas un magicien et ne peut en un claquement de doigt transformer des années d’excès alimentaires et de négligence. Je dois avouer que parfois je doute de la réussite du processus quand je vois la masse à éliminer. Je ne vais quand même pas décourager les bonnes volontés, je leur expliquerai que l’équation de la santé ne se trouve pas dans un tableau de doshas mais dans des choix de vies durables et de compromis réalistes je demanderai aux masseuses de pétrir, modeler palper en sachant que le vrai miracle est peut-être qu’elles y croient encore. En fin de compte je ne sais pas si je guéris qui que ce soit mais au moins je leur donne quelque chose à raconter quand elles rentrent chez elles, exorciser quelques angoisses. Je sais que les oiseaux migrateurs reviennent chaque année. Cet après-midi je vais établir le planning de chacune, entre les massages à quatre mains, à quatre pieds, pour décoller la cellulite, l’écoulement d’huile chaude sur le front, le ghee dans les yeux -le must d’Ananda-, la fumée de cendres de bambou dans les oreilles, le lancer de bain d’huile, elles seront folles de joie. Je suis ici comme un coq en pâte, je n’ai pas encore essayer le caviar offert par la polonaise qui a perdu cinq kilos l’an dernier, mais qui sait, en le mélangeant à mon dal de lentilles au lait de coco… On m’a proposé le poste de médecin-chef à l’hôpital ayurvédique régional de Kattakkada pour un salaire plus élevé. Il ne rivalisera jamais avec les avantages et les plaisirs que je trouve ici. Allez, je vais prendre mon déjeuner avec John sur ces foutues chaises,