Ca y est, on a pris la route de retour. Et aujourd’hui c’est étrange, on dirait que tout m’est égal. Je ne suis plus triste, la route et les paysages défilent devant moi et je les regarde, j’en profite pour regarder défiler le paysage. Moi je trouve ça beau la France. Ils ont de la chance les Français d’avoir autant de beaux paysages. En Espagne aussi les paysages sont beaux. C’est un vrai plaisir de juste regarder tranquillement par la fenêtre. Les enfants sont sages mais ma fille, je la surveille du coin de l’oeil, elle a toujours cette fâcheuse tendance à vomir en voiture. Il faut faire attention avec elle, garder un oeil sur elle. Mon fils, lui, s’endort volontiers mais elle non, elle est comme moi, elle veille. Il est tôt mais il fait déjà chaud dans la voiture, dans la petite nsu blanche. C’est une voiture que nous avons achetée, enfin plutôt que mon mari a achetée d’occasion. C’est une toute petite voiture d’origine allemande. Moi je n’aime pas les voitures allemandes mais la filiale a été rachetée par fiat en Italie et ça se sent que c’est une voiture au design plutôt italien. Ceci dit, elle n’a rien, absolument rien de spécial sinon que le moteur est à l’arrière. C’est ça qui aura amusé mon mari, avoir un moteur dans le coffre arrière. Pouvoir soulever le capot avant et au lieu de se trouver face à un moteur comme dans n’importe quelle autre voiture, y trouver l’espace à bagages. C’est cela qui l’aura amusé, juste cela, l’idée de pouvoir surprendre les gens, les amis ou les passants en soulevant le capot avant et en y déposant des bagages ou des courses. C’est pour cette raison, cette unique raison j’en suis sûre qu’il se sera entiché de cette voiture et qu’il l’aura achetée. C’est un homme comme ça, qui s’entiche, qui a des frasques comme on dit. Soudain une chose lui tape dans l’oeil et il ne peut littéralement plus vivre sans l’acquérir, sans la posséder. Mais lui-même en réalité ne fait jamais les courses au supermarché, c’est toujours moi, toujours moi qui y vais et qui dois, à chaque fois, glisser ma main sous le capot avant pour trouver le loquet d’ouverture, arriver à le déclencher, soulever le lourd capot et le soutenir de la main gauche tandis que je plonge la main droite dans le coffre, que je cherche à tâtons la barre de soutien du capot, la déclipse et la lève, puis la loge dans l’encoche du capot. Une fois cela fait il faut encore soulever les sacs de course, me pencher sous le capot pour les y déposer. Après cela, ressortir la barre de l’encoche en soutenant le lourd capot, la remboîter dans l’encoche du bout des doigts et lâcher le lourd capot qui doit claquer fermement pour se fermer correctement. Pendant ce temps évidemment des gens me regardent étonnés, et j’ai horreur qu’on me regarde, surtout de cet air étonné. Ou alors il n’y a simplement personne sur le parking ou ceux et celles qui y sont ne s’intéressent pas le moins du monde à cette histoire de capot et je me tape tout ça quand même. Ou alors il pleut, il pleut à verse et je suis trempée, littéralement trempée. De plus cette voiture, quand elle roule, fait un bruit d’enfer, elle vibre, tremble littéralement, et elle émet toutes ds sortes de pets un peu comme une voiture de course. A vrai dire, certaines nsu ont fait des compétitions de course sur route. Et ça aussi, ça aussi ça a du plaire à mon mari. Les hommes, même lui qui est grand et maigre, on pourrait dire malingre, oui lui et tous les hommes, littéralement tous, doivent toujours, à un moment ou à un autre, rouler des mécaniques et sortir le grand jeu, se la jouer viril, même lui qui n’est pas sportif pour un sous, et même plutôt féminin, lui aussi il faut qu’il fasse vrombir un moteur. C’est d’autant plus idiot qu’il a horreur de rouler vite. Au retour des vacances il refuse de prendre les autoroutes à cause des péages. Il a décidé, voici quelques mois de devenir anarchiste et de refuser, de façon tout à fait catégorique, de mettre quoi que ce soit comme argent dans les caisses de l’état. Surtout l’état français. Il hait à présent les Français allez savoir pourquoi. Surtout la culture française et plus précisément la littérature. Lui qui lisait Proust, Chateaubriand, Hugo, il s’est à présent entiché des anglais, de la littérature anglaise et ne lit plus que Lord Byron. Lord Byron par ci Lord Byron par là. Ou alors des romans noirs, des histoires de détectives allez comprendre, des histoires de crimes perpétrés dans les bas-fonds, de la littérature de gare comme on appelle ça mais lui est fier de lire de la littérature de gare, comme si venant de lui, ça élevait ce genre. C’est des histoires de gens de peu, des petites frappes comme il dit et il savoure leur langage populaire, il ne parle plus que de ça, de culture populaire. Il porte d’ailleurs une casquette à présent, il veut faire gavroche comme il dit. Pour moi c’est juste du tape à l’oeil tout ça mais pour lui visiblement c’est de la plus haute importance, il aime avoir un genre. En réalité c’est simplement un homme qui aime plaire, qui veut plaire, qui doit plaire. Au final peut-être ne vit-il que pour ça d’ailleurs, plaire. Mais il ne doit pas plaire qu’à quelques personnes, il faut qu’il plaise au plus grand nombre, il faut qu’il plaise à tous. Peut-être est-ce pour cela qu’il a arrêté de m’aimer, parce que je me suis fatiguée de le voir séduire à tout va et en toutes circonstances. Il a toujours sa cour autour de lui, moi j’ai horreur de ces mouches qui volent sans cesse autour des fruits mûrs. A vrai dire moi non plus je n’aime pas les autoroutes. Mais pas pour la même raison, je ne les aime pas parce que sur les autoroutes tout va trop vite. On se hâte et moi j’ai besoin de prendre le temps. Le voyage lent ça me permet de m’habituer. Et là, sûr qu’au retour, il va falloir que je m’habitue à quelques changements.