Souvent le matin je reste là, en terrasse sur la place, dans la rue principale. Il y a derrière moi un bâtiment fermé au public : d’anciens bassins. Il y a vingt-cinq ou trente ans ils sont des milliers de curistes. Aujourd’hui quelques centaines à peine. En face, la buvette ouvre à 9h et à 11h. Les curistes viennent boire l’eau phosphorée. La spécialité ici, ce sont les troubles digestifs. Plus haut, un autre bâtiment fermé au public. Les anciens bassins romains, un lieu unique, on attend, ce n’est plus aux normes, des millions de travaux, une cession est envisagée, ils ne se sont pas tout à fait accordés sur le prix, au bas mots, dix-huit mois, deux ans de travaux, c’est que c’est devenu triste ici, quelques centaines de personnes, regardez les commerces, ça ne tient pas, on a failli avoir un boulanger, ils se sont installés avant la crise, pensez-vous avec le confinement, ça n’a pas tenu, un couple de jeunes, du vrai pain frais le matin, maintenant il reste la supérette et le tabac. Le gardien de la buvette secoue la tête, regarde ses pieds et relève la tête, attend les curistes matinaux. La femme au chignon ouvre son salon de thé. Malaimable dit sa concurrente. Elle dépose sur la table une part de tarte et un café. Des prix élevés, un service désastreux, bien sûr, oui vous pouvez y aller, mais vous savez ici, certains restaurateurs… ne mettez pas les pieds chez Cristobald, du surgelé réchauffé du bistrot bas de gamme, alors oui c’est plein… Le petit bourg, c’est jour de brocante, jour prometteur, quelques pas empressés pour racler les pavés des rues endormies filant parfois quelque rêve de décèlement… Les commerçants sortent tels des insectes et restent debout face aux vitrines, jour de fête en temps de disette. Sur la place, s’étalent miteux des trente-trois tours, des suspensions en faux cristal, un vieux tricycle et une grande poupée de bois. Parmi les rues, je crois voir les silhouettes des anciens de l’Indochine. C’est un sensible, il se confie un peu à moi, mais… pas une fille, songez, il a dix-sept ans, il est dans ses livres et sur son écran, et brillant avec ça, d’une intelligence extraordinaire. Elle est volubile quand elle parle de son petit fils. Les enfants, les amis, écoutent. Mais je pense oui, je pense qu’on est tous névrosé, autant régler cela tôt. Ils hochent la tête. Et je songe au manège des hommes qui circulent là-bas dans les couloirs vides du grand hôtel.